Le Temps

Face aux sommes folles versées aux mineurs, le dilemme des parents

- LAURENT FAVRE t @LaurentFav­re

Les Football Leaks ont montré que les jeunes espoirs faisaient l’objet d’une intense surenchère financière entre les grands clubs. Les parents sont-ils complices?

A la suite des Football Leaks, qui révélaient lundi comment les clubs contournai­ent la loi pour offrir indirectem­ent de fortes sommes d’argent à des joueurs mineurs, le journal L’Equipe a donné mardi quelques exemples éloquents: 3 millions d’euros à Stanley Nsoki, 19 ans, issu du centre de formation du PSG pour signer… au PSG; 20 millions d’euros pour le transfert cet été à l’AS Monaco de l’attaquant lyonnais Willem Geubbels, 17 ans, trois bouts de matchs en Ligue 1; 30000 euros versés chaque mois par Lille à Ferhat Cogalan (16 ans). «Aujourd’hui, un solide espoir de 16 ou 17 ans a plus de valeur qu’un joueur moyen de L1 qui a cinq ans de profession­nalisme», témoigne un agent de joueurs.

Le caractère spéculatif du football business est ainsi fait que vous pouvez désormais devenir riche sans jamais jouer au plus haut niveau. La question de privilégie­r l’argent ou la carrière devient brûlante pour les parents de joueurs mineurs. Un père digne de ce nom n’ignore pas combien il est dangereux de placer un enfant de 12 ans au coeur du «projet familial», quand ce n’est pas en faire déjà un soutien de famille. Il sait sans doute aussi que 100000 ou 200000 francs versés par un grand club ne signifient pas que son fils compte vraiment pour eux, surtout pas dans des centres de formation où un taux d’échec de 95% est considéré comme normal. Dès lors, que faut-il faire? Face à de telles sommes, prendre l’argent n’offre-t-il pas davantage de gage pour l’avenir?

J’ai joué en amateur avec ou contre des pères dont les fils sont aujourd’hui profession­nels (ou tentent de l’être). Chaque cas est différent, chacun a fait au mieux, aucun n’a de certitude pour l’avenir. L’un a fait le choix de la raison, privilégié le club local, le lien maintenu avec la famille, plutôt que de signer à Arsenal. Il le regrette aujourd’hui, se dit que quitte à tenter le foot pro, il aurait fallu viser le plus haut possible, parce que échouer à Arsenal vous donne tout de même une valeur sur le marché, donc souvent une deuxième chance, voire une troisième.

Un autre a signé dans un grand club anglais. Toute la famille a déménagé, le club a trouvé un emploi au père. Situation potentiell­ement stressante pour le jeune mais ses parents ont le sentiment d’avoir tout fait pour lui permettre de réaliser son rêve. Il approche de l’âge critique, celui où il faut jouer, se faire une place parmi les adultes. Pas facile. Mediapart a montré qu’un club comme Manchester City faisait jouer certains jeunes juste pour lester leur valeur marchande du label «vu en Premier League».

Troisième cas, une famille de Marseille rencontrée lors d’un reportage en début d’année. Bon joueur mais petite taille, ce recalé des centres de formation fait la tournée des «académies» privées. Certaines sont des arnaques. Les parents le suivent aux stages de détection, ont pris un crédit pour financer les formations, espèrent, encouragen­t. Eux aussi pensent faire au mieux. A tous, seul le temps apportera une réponse, au cas par cas.

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