Face à Trump, Kim Jong-un reste le maître du jeu
Après un an d’abstinence, la Corée du Nord a procédé vendredi à une démonstration de force avec l’essai de ce que l’agence officielle KCNA a qualifié de «nouvelle arme tactique ultramoderne». Une provocation de plus envers la communauté internationale? Pas exactement. Il s’agit d’un message calibré à l’adresse de Washington: les négociations patinent depuis le sommet de Singapour et la patience de Kim Jong-un atteint ses limites. Il est temps que Trump offre de nouveaux gages de sa bonne foi afin de négocier la paix en échange de la dénucléarisation de la péninsule coréenne.
L’arme «ultramoderne» en question n’est qu’un modèle de canon dont le développement est ancien. Rien qui n’enfreigne l’accord selon lequel Pyongyang s’est engagé à geler ses tirs de missiles balistiques et ses essais nucléaires. La porte reste donc ouverte. Mais il pourrait en aller autrement la prochaine fois, si rien ne bouge. Or du côté de la Maison-Blanche, si on assure que les négociations se poursuivent, la confusion règne dans ce dossier. Sans surprise.
Rappelez-vous: en juin dernier, après leur poignée de main historique, Kim et Trump promettaient de se revoir rapidement. Côté américain, on spéculait sur une rencontre avant les élections de mi-mandat, puis après ces élections. Aujourd’hui, on parle du début de l’année prochaine. Entre-temps, plusieurs rendez-vous ont été annulés entre émissaires des deux pays, chacun se renvoyant la balle.
Ce qui coince? L’ordre des concessions à faire de part et d’autre. Pyongyang attend que Washington
Les Américains devront faire preuve d’imagination pour ne pas devoir capituler
lève, par étapes, les sanctions à son encontre pour livrer des informations sur son programme nucléaire. C’est du donnant-donnant. Washington table au contraire sur la livraison d’une liste complète des sites et têtes nucléaires nord-coréens avant d’évoquer les conditions d’un accord de paix et une levée des sanctions. Qui cédera? Trump, mal préparé, doit batailler avec ses généraux, ses conseillers à la sécurité, et certains de ses alliés, pour poursuivre son idylle avec Kim. Kim, à l’inverse, sans opposition interne, peut compter sur un certain soutien de Pékin et de Séoul. Moon Jae-in, le président sud-coréen, appelle en effet les Etats-Unis à faire un premier geste sur les sanctions.
Le pacifique Moon fait le forcing pour renouer avec le Nord. En septembre, il embrassait Kim à Pyongyang, leur troisième rencontre en quelques mois. Le Sud-Coréen envisageait alors une réunion au sommet de Davos, en janvier prochain, ce qui aurait été une manière spectaculaire d’attester du virage pris par Kim Jong-un auprès des élites économiques mondiales. Un peu comme pour la Chine de 1992, lorsque le premier ministre Li Peng fut accueilli par Klaus Schwab pour démontrer que la page de Tiananmen était tournée. Ce n’est plus d’actualité.
Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo parviendra-t-il à reprendre la main avant Noël? C’est à souhaiter. Dans le cas contraire, on pourrait bien terminer l’année avec un tir de missile nord-coréen. Comment réagira Trump, lui qui a décidé d’imposer une diplomatie à l’envers, en offrant un sommet – et une reconnaissance – à Kim avant d’avoir négocié quoi que ce soit? Les diplomates américains vont devoir faire preuve de beaucoup d’imagination ces prochains jours pour ne pas être acculés à capituler ou à devoir riposter par la force. Car Kim Jong-un, comme depuis un an, reste le maître du jeu.
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