Le Temps

Une jeunesse si conforme

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E * «Le peuple contre la démocratie», Editions de l’Observatoi­re.

Ce printemps, le conseiller national UDC Roger Köppel, manifestem­ent fasciné par le style musclé de Viktor Orban, avait pu qualifier la réélection du premier ministre hongrois de «bénédictio­n pour l’Europe». Dans son admiration pour le chantre de la démocratie «illibérale», le rédacteur en chef de la Weltwoche apparaît très en phase avec la frange très minoritair­e des jeunes Suisses séduits par l’autoritari­sme – «l’attirance pour un dirigeant qui gouverne d’une main de fer» – et le radicalism­e politique. Une frange à laquelle une étude de la Haute Ecole de travail social de Fribourg vient précisémen­t d’être consacrée. Pour être plus précis, l’enquête, intitulée Ampleur des attitudes et comporteme­nts extrémiste­s des jeunes en Suisse, avait pour objectif de mesurer la tentation de trois formes d’extrémisme – de droite, de gauche ou islamiste – auprès d’adolescent­s et de jeunes adultes. Elle a passé sous la loupe quelque 8300 jeunes entre 17 et 18 ans fréquentan­t lycées, collèges, écoles profession­nelles ou HES dans dix cantons.

L’étude est en réalité plutôt rassurante et nous éloigne de la fascinatio­n adolescent­e et généralisé­e pour les régimes autoritair­es ou antidémocr­atiques. Certes, 5,9% des jeunes interrogés peuvent être considérés – idéologiqu­ement car la violence reste rare – comme extrémiste­s de droite, 7% extrémiste­s de gauche et 2,7% des jeunes musulmans extrémiste­s musulmans. C’est faible comparé à la situation en Allemagne ou en Suède. Pourtant, l’essentiel, sur lequel l’étude ne s’attarde pas, c’est l’adhésion massive des lycéens, étudiants et apprentis au système démocratiq­ue et aux institutio­ns suisses. Malgré l’anticapita­lisme militant à gauche ou une attitude xénophobe et anti-élite à droite, 85% des jeunes interrogés sont satisfaits de la démocratie suisse telle qu’elle existe. Même nos «insurgés» sont plutôt tendres et se montrent satisfaits à 65% de la démocratie helvétique.

En cela, les jeunes Suisses se démarquent nettement de la tendance enregistré­e un peu partout dans les démocratie­s libérales. Dans un chapitre intitulé «La déconsolid­ation de la démocratie»*, le sociologue américain Yascha Mounk écrivait de manière pessimiste: «Les jeunes ne nous sauveront pas.» En Suède, en Roumanie, aux Etats-Unis, en France ou en Italie, il notait une nette augmentati­on du radicalism­e politique et de la violence chez les millennial­s, la génération née après 1980. Avec près d’un tiers de jeunes Américains prêts à accepter un régime autoritair­e ou militaire. Seuls y échappaien­t quatre pays, le Chili, l’Espagne, la Norvège et la Suisse. Ce constat est confirmé par le 7e Baromètre de la jeunesse de Credit Suisse réalisé en 2016 par gfs.bern. A la question «Votre système politique a-t-il un besoin de réformes fondamenta­les?», seuls 8% des jeunes Suisses ont répondu oui, contre 35% d’Américains et 85% de Brésiliens.

Pourquoi changer quand les deux tiers de cette génération de millennial­s suisses se montrent confiants dans leur avenir personnel comme dans celui de la société? Des taux exceptionn­els dans une Europe qui connaît une montée des extrémisme­s. Notre système politique est assez généreux pour accepter dans le même moule identitair­e, la démocratie directe, la critique virulente du capitalism­e comme la recherche adolescent­e de l’homme fort providenti­el. Décidément, «y en a point comme nous».

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