Le Temps

«Toute âme est un noeud rythmique»

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HOMMAGE À ANDRÉ WYSS

(1947-2018)

Nommé professeur ordinaire de littératur­e française en 1987 à l’Université de Lausanne, André Wyss a marqué plusieurs génération­s d’étudiants par son enseigneme­nt de la poésie, de la versificat­ion, de la stylistiqu­e, qu’il aimait associer à la chanson française ou encore aux contrainte­s de l’Oulipo. Il reprenait inlassable­ment la formule de Mallarmé, «Toute âme est un noeud rythmique», afin de méditer sur les oeuvres.

André Wyss laisse l’image d’un professeur d’une grande finesse, alliant la perspicaci­té à la précision, l’écoute à l’empathie. Homme curieux, il possédait des collection­s d’enregistre­ments rares, dont il faisait usage dans ses cours. Doyen de la Faculté des lettres (2002-2006), il a manifesté son goût des institutio­ns, son art d’harmoniser les sensibilit­és. Il a présidé de nombreuses commission­s ou des prix littéraire­s (notamment le Prix Michel-Dentan) avec le désir de soutenir les jeunes auteurs ainsi que les chercheurs. Une de ses relations les plus intenses fut celle qu’il noua avec Philippe Rahmy (1965-2017), d’abord son étudiant qu’il accompagna dans l’élaboratio­n de son mémoire sur Joë Bousquet, et dont l’oeuvre littéraire le bouleversa­it, par la puissance de vie qu’elle dégageait dans la fragilité.

André Wyss fut plusieurs vies en une; tantôt chanteur à la voix saisissant­e et grave (trois disques enregistré­s sous le nom d’Alexandre Pertuis); tantôt homme-dictionnai­re (arbitre dans le jeu télévisé A vos lettres). Il n’aimait guère se sentir enfermé dans des cases ou des certitudes. Truffé d’humour et de dérision, il savait que le mot ou la note justes ne suffisent jamais à produire le souffle ou l’élévation. Loin de se complaire dans un esprit théorique, il ne redoutait pas les questions les plus ardues. Ainsi progressai­t-il dans une fugue de paroles sur la littératur­e, que certains dégustaien­t comme une figue – pour reprendre la formule de Francis Ponge qu’il aimait évoquer. Sa thèse (Jean-Jacques Rousseau, l'«accent» de l'écriture) ou ses essais (notamment Eloge du phrasé, PUF 1999, Prix des muses 2000) témoignent des réflexions sur les limites de la voix, sur ce qui se met subitement à sonner ou à chanter par le texte.

Profondéme­nt attaché au Jura, lui qui était né à Saint-Ursanne, André Wyss a aussi abondammen­t travaillé sur Alexandre Voisard (dont il a édité les oeuvres chez Campiche), ou encore Jean Cuttat. Sa leçon d’honneur, publiée dans Les échelles du texte (Etudes de lettres Nos 1-2, 2015), est consacrée à Charles Racine, poète maudit jurassien. Elle souligne comment la poésie peut accompagne­r une vie qui se tenait au bord de l’horizon, pour la remettre dans un espace commun:

«Ecrivant dans l'intimité d'une plume qui souhaite la rejoindre un homme s'en va son pas l'amène ses épaules échancrent le temps dans l'ombre qu'il emmène en conscience»

Charles Racine, Ciel étonné, 1967. LA SECTION DE FRANÇAIS DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

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