Le Temps

Frederik Paulsen dénonce de «faux scandales»

Le milliardai­re suédois est un homme plutôt discret. Mais depuis quelques mois, sa proximité avec des personnali­tés politiques suscite interrogat­ions et polémiques. Excédé par les attaques, l’homme d’affaires sort pour la première fois de son silence

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN BESSON ET YAN PAUCHARD @SylvainBes­son @YanPauchar­d

GRANDE INTERVIEW Le milliardai­re suédois est un homme discret, mais sa proximité avec des personnali­tés politiques comme Pascal Broulis et Géraldine Savary suscite interrogat­ions et polémiques. Lassé des attaques, il sort de son silence

Il est devenu l’homme mystère de la politique vaudoise, à la fois omniprésen­t et insaisissa­ble. Lassé des attaques dont il fait l’objet, Frederik Paulsen sort du silence. «Je dois m’expliquer, non seulement pour moi-même, mais pour mon entourage et pour l’entreprise que je préside. J’ai bientôt 70 ans et je me retrouve à devoir me défendre, sans savoir pourquoi je dois me défendre», dit l’entreprene­ur suédois, que nos journalist­es ont rencontré à Saint-Prex, au siège internatio­nal de sa société pharmaceut­ique, Ferring.

Le milliardai­re suédois, qui est aussi consul général de Russie, est apparu ces derniers mois comme l’encombrant ami de politicien­s vaudois, notamment Pascal Broulis, qu’il a accompagné­s en Sibérie. Des révélation­s sur ses dons à la campagne de Géraldine Savary ont entraîné le retrait de la socialiste.

«Je fais des affaires dans le monde entier et je peux vous l’assurer, les politicien­s suisses sont parmi les plus intègres de la planète. Au lieu de les critiquer, vous devriez leur remettre une médaille», déclare-t-il.

ttC’est un homme en colère. Derrière son costume croisé impeccable et sa retenue toute protestant­e, Frederik Paulsen bouillonne. Il veut s’expliquer après plusieurs mois de polémiques où son nom a fait les gros titres des journaux. Le milliardai­re suédois et consul honoraire de Russie est devenu l’ami encombrant des politicien­s vaudois, en particulie­r de Pascal Broulis, qu’il a accompagné à plusieurs reprises en Sibérie. Tout récemment, des révélation­s sur ses dons à la campagne de Géraldine Savary ont conduit au retrait de la socialiste.

Frederik Paulsen a accordé au Temps un entretien de deux heures au siège internatio­nal de sa société pharmaceut­ique Ferring, à Saint-Prex. Il était accompagné de son avocat Christian Bettex et de l’ancien rédacteur en chef de 24 heures Thierry Meyer, qui gère aujourd’hui sa communicat­ion. Dans l’une des salles de réunion, sous le portrait de son père Frederik Paulsen Senior, fondateur de l’entreprise, l’homme d’affaires va répondre aux questions avec franchise et pugnacité.

Discret, vous ne vous êtes pas exprimé publiqueme­nt jusqu’ici. Pourquoi avoir accepté cette interview?

Les attaques ont atteint un tel niveau. Je dois m’expliquer, non seulement pour moi-même, mais pour mon entourage et pour l’entreprise que je préside. J’ai bientôt 70 ans et je me retrouve à devoir me défendre, sans savoir pourquoi je dois me défendre.

On vous sent en colère. Dans quel état d’esprit êtes-vous?

Je suis très fâché! Les médias ont construit une fausse image de moi. Par exemple, un récent article m’attaque sur trois fronts en me faisant passer tour à tour pour un financier internatio­nal louche – on ne sait d’ailleurs pas pourquoi c’est louche –, pour une sorte d’espion russe et pour quelqu’un qui tente de corrompre le monde politique vaudois. Ce serait presque drôle si ce n’était pas aussi stupide.

On vous reproche notamment d’avoir participé au financemen­t des campagnes électorale­s de Géraldine Savary…

J’aimerais juste en préambule remettre ce don dans son contexte. Mon père, qui était un réfugié fuyant les nazis, m’a appris que lorsqu’on est accueilli dans un pays, on a une responsabi­lité de donner plus que l’on reçoit, à respecter les règles, à s’engager. C’est ce qui me guide. Je fais oeuvre depuis longtemps de mécénat dans le canton de Vaud, en soutenant de très nombreuses causes, de la Fondation Théodora (90000 francs par an) à la recherche contre le cancer du sein, jusqu’aux jeunesses campagnard­es ou au semi-marathon de la Côte. Je n’ai jamais rien attendu en retour. C’est dans le même état d’esprit que j’ai aidé Géraldine Savary.

Pourquoi avoir soutenu la campagne qu’elle menait avec le Vert Luc Recordon?

D’abord, je l’aime beaucoup. C’est quelqu’un de très sympa. Nous avons eu ensemble de fascinante­s discussion­s sur l’avenir de la social-démocratie, dont le projet de réduire les inégalités par l’impôt ne fonctionne plus. Il faut trouver d’autres moyens, rénover le Parti socialiste qui joue un rôle important dans la société, sinon il va disparaîtr­e. On en débattait. Je lui envoyais des articles. C’est pour cela que je l’ai aidée. Mais les socialiste­s, eux, l’ont poussée à s’en aller au lieu de dialoguer, y compris avec moi!

Vous n’avez pas pensé qu’il serait problémati­que pour une femme de gauche d’accepter l’argent d’un milliardai­re?

Une socialiste n’a-t-elle pas le droit d’avoir des amis qui ont de l’argent? Les riches ne peuvent-ils aider que des politicien­s de droite? Même si nous avons des idées différente­s, nous pouvons dialoguer. Ma mère qui était socialiste – elle avait la carte du parti – ne m’a pas fermé la porte le jour où je suis devenu capitalist­e. Et franchemen­t, on fait des centaines de donations par an dans le canton. Les sommes étaient si modestes [ndlr: 15000 francs en 2011 et 10000 francs en 2015] que je ne m’en souvenais même plus lorsque l’affaire a éclaté.

Avez-vous financé la campagne d’autres politicien­s suisses?

Non. Géraldine Savary est la seule personnali­té politique que j’ai aidée.

Avez-vous soutenu des partis politiques en Suisse?

Mais non! Quel intérêt aurais-je à le faire? Dans les rédactions, vous êtes persuadés que je suis une sorte d’espion russe… C’est parfaiteme­nt ridicule.

Pourquoi avoir participé à des voyages en Sibérie avec des politicien­s romands?

J’ai rencontré il y a une dizaine d’années le journalist­e Eric Hoesli. Nous avions exactement les mêmes intérêts. Il organisait déjà des voyages en Sibérie avec des personnali­tés de toutes provenance­s et m’a demandé si je souhaitais y participer. C’était un immense privilège pour moi. J’habitais en Suisse, mais j’avais en fait très peu de contacts ici. C’est très difficile de s’intégrer quand vous venez de l’étranger. Pouvoir côtoyer ces gens que j’admire, faire leur connaissan­ce, devenir leur ami, ce fut, je le répète, un privilège. J’aimerais insister sur un point: je fais des affaires dans le monde entier et je peux vous l’assurer, les politicien­s suisses sont parmi les plus intègres de la planète. C’est l’une des raisons qui ont conduit Ferring à installer son siège mondial ici. Au lieu de les critiquer, vous devriez leur remettre une médaille. Même si les décoration­s n’existent malheureus­ement pas en Suisse.

Combien de voyages avez-vous effectués avec eux?

Un par an pendant huit ou neuf années. Honnêtemen­t, je ne sais plus trop. Ces voyages étaient marginaux par rapport à mes nombreuses autres expédition­s. Une semaine en Sibérie par rapport à trois mois autour de l’Antarctiqu­e…

Quel rôle avez-vous joué dans ces séjours?

J’étais un simple participan­t. C’est Eric Hoesli qui organisait le voyage. Je l’ai juste un peu aidé pour la logistique. J’ai un bureau sur place, en Russie, avec deux collaborat­eurs. Et chacun a payé sa part du voyage.

Avez-vous financé des choses sur place, comme des vols en hélicoptèr­e ou des bateaux?

Non et je ne comprends pas que l’on me pose encore la question. Une instructio­n préliminai­re a été ouverte par le Ministère public du canton de Vaud et plusieurs policiers ont investigué. Leur enquête a conclu que ces accusation­s étaient fausses.

êtes consul honoraire de Russie. Y voyager avec des personnali­tés suisses, n’est-ce pas une sorte de «soft power», une manière de vendre une belle image de ce pays?

Mais c’est un pays merveilleu­x! Pourquoi veut-on absolument me faire passer pour un propagandi­ste? En tant que consul honoraire, je ne fais pas de politique.

Je m’occupe de culture, de science et de sport, uniquement, en faisant par exemple venir le ballet du Bolchoï ou de jeunes hockeyeurs.

On vous dit proche de Poutine… Mais m…! J’ai peut-être rencontré Poutine quelques fois et échangé à peine dix mots avec lui. Est-ce que cela fait de moi son ami? Non! On écrit tout le temps que j’avais été décoré par lui… J’ai aussi été décoré par la reine du Danemark, par le président allemand, par la reine Elisabeth et même par le pire ennemi de Poutine, l’ancien président géorgien Mikheïl Saakachvil­i.

Comment vous, homme d’affaires suédois, êtes-vous devenu consul honoraire de Russie?

Je suis allé en Russie à la fin des années 1990 dans le cadre de mon premier périple au pôle Nord. J’en avais une vision très négative. Pour des raisons historique­s, la Suède est un pays foncièreme­nt russophobe. Enfant, on me racontait que les Russes étaient des monstres. Mais dans la vie, les préjugés finissent par tomber lorsque vous vous confrontez à la réalité. J’y ai fait des connaissan­ces, noué des amitiés, monté des expédition­s avec des Russes et mené des projets de recherche. Pour me remercier, les autorités m’ont nommé consul honoraire. J’en suis très fier.

D’où vous vient cette passion pour les

pôles? Je ne peux pas répondre à cette question. C’est en moi depuis que je suis tout petit… Lors de mes études, nous nous retrouvion­s tous les jeudis soir avec un ami autour d’une bière. On se répétait que nous irions un jour aux îles Féroé. C’était alors la destinatio­n la plus exotique que nous puissions imaginer. Ce rêve, nous l’avons finalement réalisé quelques années plus tard. Nous avons poursuivi avec l’Islande, le Groenland, le Spitzberg. Un jour, lorsque j’habitais Paris, ma femme m’a tendu le journal Le Monde avec un article consacré à l’expédition au pôle Nord de l’explorateu­r français Bernard Buigues. Je l’ai contacté pour qu’il m’y emmène. Il opérait depuis la Sibérie. Et une fois que vous êtes au pôle Nord, qu’est-ce que vous faites? Vous allez au pôle Sud…

Suédois aux origines allemandes, consul russe habitant en Suisse… Vous restez un personnage mystérieux. D’où venez-vous?

Si je suis né en Suède, c’est parce que mon père a fui l’Allemagne d’Hitler. C’était un Frison, une minorité qui a sa propre langue et qui vit sur les îles de la mer du Nord. Etudiant à Kiel, il a été arrêté par la Gestapo un jour à 5 heures du matin chez lui, pour avoir distribué des tracts dénonçant le parti nazi. Après deux ans de prison, il a réussi à s’enfuir, en train jusqu’à Bâle, où il a terminé ses études de médecine. Il s’est ensuite installé en Suède où il a fondé avec ma mère la société Ferring. Mes parents ont fait de la biotechnol­ogie avant même que la biotechnol­ogie n’existe. C’étaient des pionniers dans le domaine des protéines, des peptides.

Quand avez-vous repris les rênes de l’entreprise?

Le 3 janvier 1983. L’entreprise comptait 150 employés et un chiffre d’affaires de 12 millions de dollars. J’étais conscient que la Suède était trop petite et qu’il fallait internatio­naliser au plus vite la société. Nous devions également trouver des marchés de niche pour nous développer. C’est ainsi que nous sommes devenus l’un des leaders mondiaux dans la lutte contre l’infertilit­é. Ce sont des médicament­s assez chers, des traitement­s compliqués. Ferring compte aujourd’hui 6500 employés dans le monde pour un chiffre d’affaires de quelque 2 milliards de francs.

Quel rôle avez-vous encore chez Ferring?

Je n’ai plus d’activité opérationn­elle dans la société. A 68 ans, j’aspire à me consacrer à ce qui me passionne. J’ai plusieurs centres d’intérêt dans le mécénat. Il y a le Bhoutan, pays où j’ai investi dans un musée de textile pour aider les femmes à avoir un emploi. Je m’engage également pour l’écologie en soutenant la science. On ne peut plus nier le phénomène de réchauffem­ent climatique. Je l’ai constaté de mes propres yeux: la glace des pôles disparaît. Entre autres grands projets, j’ai financé un programme de dératisati­on de l’île anglaise de la Géorgie du Sud, dont la faune avait été détruite par les rats amenés à l’époque par les baleiniers. Depuis deux ans, un demi-milliard d’oiseaux sont revenus y nicher. Sans oublier mon soutien à la culture et à la langue frisonnes, que seulement 3000 personnes parlent encore. Vous comprendre­z donc que corrompre les politicien­s vaudois n’est pas vraiment une de mes priorités.

Vous, milliardai­re au bénéfice d’un forfait fiscal, avez effectué des voyages en Sibérie avec le conseiller d’Etat vaudois Pascal Broulis, chef du Départemen­t des finances. N’y a-t-il pas un risque de connivence?

Je n’ai jamais parlé de ma situation fiscale avec lui. Lorsque les discussion­s sur mon installati­on dans le canton de Vaud ont eu lieu, c’était d’ailleurs Charles Favre qui était chargé des Finances vaudoises. Pascal Broulis n’était même pas encore conseiller d’Etat. De plus, mon forfait fiscal, ce sont mes avocats qui en ont parlé avec le fisc. Je n’ai rencontré personne de l’administra­tion des finances. Ces insinuatio­ns m’irritent. On oscille entre le maccarthys­me, où l’on attaque des gens en se basant sur des émotions, et les mécanismes de propagande, où lorsque à force de répéter un mensonge, il devient une vérité.

Ce n’est pas un peu excessif? J’assume. Il faut remonter aux origines de toute cette affaire, dans laquelle Géraldine Savary et moi-même ne sommes que des victimes collatéral­es. Depuis le début de l’année, un journalist­e d’un quotidien zurichois [ndlr: le Tages-Anzeiger] va écrire d’innombrabl­es articles contre un seul politicien romand, Pascal Broulis. Pourquoi? C’est un homme intègre, honnête, de caractère. Il a transformé un canton qui était en quasi-faillite en une economic powerhouse (puissance économique). Il y a dorénavant davantage de capital-risque investi ici que dans n’importe quelle autre région du pays. Le grand frère à l’Est du pays est-il jaloux de ce développem­ent?

Reste que votre forfait fiscal suppose une inactivité, alors que vous semblez toujours être à la tête d’une multinatio­nale. Cela interpelle…

Tout est au contraire très clair. Je vis des revenus de ma fortune personnell­e. Je ne touche pas de revenu de Ferring, où j’ai le rôle de président non exécutif (non-executive chairman), sans rémunérati­on. Mais le canton de Vaud n’est pas perdant. Avec mes actions de philanthro­pie [ndlr: en une dizaine d’années, les versements de Frederik Paulsen à des organisati­ons vaudoises se montent à plus de 40 millions de francs], j’ai dépensé peut-être dix fois plus que ce que j’aurais payé en impôts. Je pense avoir été plus efficace en donnant de l’argent directemen­t à des gens plutôt que de le verser à l’Etat où il aurait transité par une bureaucrat­ie. C’est une question éminemment idéologiqu­e, je vous le concède… Ce qui m’attriste, c’est que j’ai essayé de redonner à ce pays ce qu’il m’a donné. Et là, on me fait passer pour le grand corrupteur de la politique vaudoise. Alors que ce que je préfère ici c’est justement l’intégrité des politicien­s!n

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 ?? (ARCHIVES FAMILIALES) ?? Dans les bras de son père en 1952. Frederik Paulsen est âgé de 2 ans.
(ARCHIVES FAMILIALES) Dans les bras de son père en 1952. Frederik Paulsen est âgé de 2 ans.
 ?? (AP PHOTO/VLADIMIR CHISTYAKOV) ?? Le 2 août 2007, à bord d’un sous-matin russe, Frederik Paulsen (à g.) plonge à 4261 mètres de profondeur sous les glaces de l’Arctique pour atteindre le «vrai» pôle Nord.
(AP PHOTO/VLADIMIR CHISTYAKOV) Le 2 août 2007, à bord d’un sous-matin russe, Frederik Paulsen (à g.) plonge à 4261 mètres de profondeur sous les glaces de l’Arctique pour atteindre le «vrai» pôle Nord.
 ?? (ARCHIVES FAMILIALES) ?? Tout à gauche sur cette photo de 1960, Frederik Paulsen a un frère et quatre soeurs. Il est le benjamin.
(ARCHIVES FAMILIALES) Tout à gauche sur cette photo de 1960, Frederik Paulsen a un frère et quatre soeurs. Il est le benjamin.
 ?? (ARCHIVES FAMILIALES) ?? Frederik Paulsen jeune en discussion avec son père, médecin et fondateur de la société Ferring.
(ARCHIVES FAMILIALES) Frederik Paulsen jeune en discussion avec son père, médecin et fondateur de la société Ferring.

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