MÉNAGE À SIX À COPENHAGUE
Le verbe haut et pétillant, Christina Hesselholdt sonde la vie d’un groupe d’amis aussi sagaces que tourmentés, dessinant une radiographie des amours et désamours de notre époque
Ils sont six à se partager le flot de mots que leur prête, tour à tour, la Danoise Christina Hesselholdt. Trois femmes, trois hommes, entre 35 et 50 ans, amis ou amants à des degrés divers: voilà une «compagnie» dont les parcours et les caractères évoluent, s’entrelacent et se chamaillent tout au long des près de 450 pages d’un livre entièrement composé de monologues.
Le titre l’annonçait: Camilla est au coeur de cette chorale à six – un nombre qui rend par ailleurs hommage aux Vagues de Virginia Woolf, figure tutélaire du roman. A partir de la jeune femme se tissent les liens qui unissent la compagnie, avec Alma d’abord, son amie d’enfance, puis avec Charles, son mari alité qu’elle essaie de soigner, non sans éprouver une amertume coupable. Quant à Edward, doux rêveur, et Alwilda, la pétillante ex-femme de ce dernier, ils sont comme chien et chat – de même que Kristian, qui nourrit quelque rancoeur à l’endroit d’Alma, qui vient de le quitter.
INTROSPECTION CULTIVÉE
Dès lors se succèdent, non sans humour, des scènes de la vie de ce groupe de Copenhaguois qui n’hésite pas à s’octroyer le temps nécessaire à une introspection aussi cultivée que lascive: par exemple lorsque Edward promène son chien jusqu’à l’épuisement, comme pour user sa douleur; lorsque Camilla, pour se remettre de sa rupture avec Charles, s’achète un cheval avec une patte folle; ou encore lorsque Awilda s’abandonne aux lèvres d’un cycliste qu’elle trouve pourtant bien trop jeune. Des moments d’une banalité pure, auxquels Hesselholdt, vive et perspicace, parvient à insuffler beaucoup de tendresse.
«Je suis obligée de maintenir ma conscience occupée, de lui donner de l’ouvrage», commentera Camilla qui traverse, comme ses comparses, un flux de pensées si dense qu’il est parfois difficile de savoir s’il se passe réellement quelque chose au-delà de cette cartographie mentale. Un peu comme dans la vie, en somme, lorsque nos réflexions nous absorbent au point que nous ne puissions plus mesurer ni le temps écoulé ni le chemin parcouru. Un magma d’idées et d’associations qu’entrecoupent heureusement «une quantité infinie de journées lumineuses», pour citer Camilla. Car le bonheur est là, «il s’agit simplement d’y planter sa pelle».