Le Temps

FILMAR EN AMÉRICA LATINA, ÉPISODE 20

- PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Issu d’un ciné-club jadis abrité par l’Institut universita­ire d’études du développem­ent, le festival genevois vit depuis hier au rythme d’une vingtième édition foisonnant­e.

La 20e édition du festival Filmar en América latina s’est ouverte vendredi à Genève. Quelque 90 films y sont programmés jusqu’au 2 décembre

Si on vous dit cinéma latino, vous penserez probableme­nt d’abord au Brésil, à l’Argentine et au Mexique. Logique. Mais ces trois pays, malgré leur côté ogre, ne sauraient résumer à eux seuls la richesse et la diversité artistique des Amériques centrale et du Sud, ainsi que des Caraïbes. Richesse et diversité que défend depuis deux décennies, à Genève, le festival Filmar en América latina, dont la 20e édition a été lancée hier soir avec la projection de Las herederas, ou l’histoire de deux bourgeoise­s paraguayen­nes qui vont voir leur vie basculer.

CHEMINS DE TRAVERSE

A l’origine de Filmar, il y a un ciné-club étudiant abrité par l’Institut universita­ire d’études du développem­ent (IUED), créé en 1961 et aujourd’hui partie intégrante de l’Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent. Cofondateu­r du festival et ancien directeur adjoint de l’IUED, Jean-Pierre Gontard se rappelle justement d’une domination du Brésil, de l’Argentine et du Mexique. Viendra ensuite le cinéma cubain, auquel le cinéclub s’intéresser­a tout en explorant également l’Afrique, avant que naisse l’envie de pérenniser ce travail de programmat­ion à travers un festival. Un groupe d’étudiants et d’enseignant­s réfléchit alors à un concept et, après une hésitation entre les cinémas latino et africain, c’est donc finalement le premier qui l’emportera. Dès sa première édition en 1999, Filmar choisira de prendre des chemins de traverse pour défricher une cinématogr­aphie encore peu connue en marge du Cinema Novo brésilien.

A la tête de Filmar depuis l’an dernier, Vania Aillon rappelle que l’histoire de l’Amérique latine est profondéme­nt marquée par les nombreuses dictatures qui s’y sont succédé. Autant de drames et d’histoires tragiques qui ont inspiré les réalisateu­rs – elle cite notamment, parmi les cinéastes engagés qui comptent, le Mexicain Arturo Ripstein et le Chilien Patricio Guzmán. Au cours de ses deux décennies d’existence, le festival a eu la chance de suivre l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs, tous invités dans les grandes compétitio­ns internatio­nales, à Cannes, Venise et Berlin, et dont les chefs de file sont le Chilien Pablo Larraín, le Mexicain Carlos Reygadas, les Argentins Lucrecia Martel et Pablo Trapero. Cette année, parmi la compétitio­n Opera Prima dévolue aux premières oeuvres, Filmar propose des production­s venues de Porto Rico, d’Uruguay, du Pérou ou encore de République dominicain­e. Autant de pays qui, il y a vingt ans, n’existaient pour ainsi dire pas sur la carte du cinéma.

Lorsqu’on lui demande s’il existe un dénominate­ur commun aux cinématogr­aphies nationales qui font la pluralité du septième art latino, Vania Aillon évoque, au-delà de la langue espagnole dominante, un goût pour la littératur­e et un profond questionne­ment identitair­e, lié aux différents peuples autochtone­s propres à chaque pays. Et alors que nombreux sont les films à avoir exploré le réalisme magique dans le sillage d’écrivains comme Carlos Fuentes, Julio Cortázar ou Gabriel García Márquez, elle note aujourd’hui un retour vers le réalisme, un besoin d’aborder des questions de société. «Quand ça va très mal et qu’il faut aller de l’avant, ne pas baisser les bras, la culture est importante.» On se souvient notamment du sursaut salutaire du cinéma argentin durant la crise économique du tournant du XXe siècle. Ce qui fait également la force du cinéma latino, poursuit Jean-Pierre Gontard, c’est que, contrairem­ent à l’Afrique, il n’a jamais reposé sur la coproducti­on étrangère pour exister, d’où une garantie de ne pas voir les histoires qu’il voulait raconter vampirisée­s par le regard des colons européens ou nord-américains.

EXPÉRIENCE COLLECTIVE

Jusqu’au 2 décembre, Filmar en América latina présente quelque 90 films récents et plus anciens. Chaque année, à l’heure où les canaux de distributi­on sont toujours plus étroits, la manifestat­ion attire une moyenne de 20000 cinéphiles. Voir les salles accueillir des spectateur­s de différente­s génération­s procure à Vania Aillon, qui défend le cinéma en tant qu’expérience collective, une intense satisfacti­on. «On a parfois entendu qu’il y avait trop de festivals de cinéma à Genève. Mais c’est simplement parce qu’on y a un public nombreux et curieux.»

▅ Filmar en América latina, Genève, jusqu’au 2 décembre. Infos et programme détaillé sur www.filmaramla­t.ch

 ?? (DR) ?? «Un traductor», de Rodrigo & Sebastián Barriuso (Cuba/ Canada, 2018). Projection­s aux Cinémas du Grütli les 19, 26 et 27 novembre.
(DR) «Un traductor», de Rodrigo & Sebastián Barriuso (Cuba/ Canada, 2018). Projection­s aux Cinémas du Grütli les 19, 26 et 27 novembre.

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