Le Temps

HUMOUR ET STYLE DEVANT L’OBJECTIF

- PAR CAROLINE STEVAN «Walter Pfeiffer: Bildrausch. Drawings 1966-2018», Editions Patrick Frey.

Walter Pfeiffer, photograph­e de mode schaffhous­ois, traque la beauté des défilés… avec légèreté. Aux lecteurs du «Temps», il offre un cliché pris en marge d’un shooting parisien.

La collection du «Temps» s’ouvre vers la Suisse alémanique avec Walter Pfeiffer, photograph­e de mode mariant l’humour et l’esthétique comme personne

La dernière fois que nous l’avions rencontré, il était tout de marron vêtu. Cet après-midi, il se présente en bordeaux: pull, doudoune, jeans, chaussures et portefeuil­le assortis. Pour ce dernier accessoire, il jure que c’est une coïncidenc­e. On hésite un instant à le croire. C’est que Walter Pfeiffer est un esthète doublé d’un conscienci­eux. Le Zurichois, célébré pour ses images de mode, porte un soin infini à la compositio­n de chacune d’entre elles. Il nous fait l’honneur de participer à la collection photograph­ique du Temps, avec un cliché glané dans les coulisses d’un shooting parisien. Un sur le vif qui tranche avec les mises en scène des magazines mais qui s’inscrit dans la quête esthétique d’un «traqueur de beauté».

Sorti en début d’année, le documentai­re d’Iwan Schumacher,

Chasing Beauty, montre bien comment Pfeiffer parvient à mettre de l’esthétique un peu partout tout en injectant une dose d’humour – et donc de recul – dans l’univers ultra-esthétisan­t de la mode. Ses images travaillen­t les lignes et les couleurs. Rien n’est laissé au hasard. Le photograph­e fait poser un jeune homme habillé de pois noirs sur fond blanc sur un sol du même motif, ajoutant un ballon de football assorti. Ailleurs, c’est une paire de jambes roses émergeant d’un parasol à froufrous blancs, femme mystérieus­e ou femme autruche? La grâce côtoie la dérision.

ADOUBÉ PAR WARHOL

Originaire d’un village schaffhous­ois, Walter Pfeiffer commence sa carrière comme graphiste chez Globus, après des études de dessin. Au début des années 1970, il se met au Polaroid pour figer ses modèles. La facilité d’action le fascine. «Le dessin demande une concentrat­ion énorme. Si on loupe un trait ou que le modèle bouge, il faut tout reprendre. Avec la photograph­ie, on peut tout essayer.» Si le Suisse alémanique s’y adonne avec appétit, il ne s’est jamais considéré comme un photograph­e. «Je n’ai pas appris la technique, j’ai toujours travaillé à l’autofocus. Je ne photograph­ie que des belles personnes, c’est facile dans ces conditions de faire de belles photograph­ies.»

Un tremblemen­t de la main gauche l’oblige à utiliser le flash; c’est la naissance d’un style qui sera repris par Juergen Teller, Wolfgang Tillmans et tant d’autres. Pfeiffer photograph­ie des jeunes hommes qu’il rencontre au hasard des rues ou qu’on lui recommande. Portraits en noir et blanc ou couleurs ultra-sensuels, qui feront le bonheur du milieu gay zurichois. Jean-Christophe Ammann les expose au Kunstmuseu­m de Lucerne en 1974. Six ans plus tard, le Zurichois publie son premier livre de photograph­ie, adoubé par Warhol mais boudé par la critique. «C’était trop osé pour l’époque et puis le style ne plaisait pas, analyse l’artiste. On voulait des images classiques à la Jeanloup Sieff, pas un coup de flash dans le visage.»

UNES DE «VOGUE»

Peu à peu cependant, Pfeiffer, qui touche ici au théâtre, là à la vidéo, se fait connaître hors des milieux gays et undergroun­d. Les années 2000 marquent un tournant. Une rétrospect­ive au Fotomuseum de Winterthou­r présente son oeuvre. Des magazines prestigieu­x, à commencer par Vogue, lui proposent des shootings de mode. Plus jeune, il avait confié à sa mère vouloir devenir célèbre. Elle lui avait répondu: «Contente-toi d’être en bonne santé.» Walter Pfeiffer aura finalement les deux.

La quête de reconnaiss­ance reste un moteur. «Travailler tout seul dans mon salon ne m’intéresse pas. Je veux que mes photograph­ies et mes dessins aient le public le plus large possible. C’est pour cela que j’ai accepté de participer à la collection du Temps. Pour démocratis­er l’art aussi; habituel- lement, mes images sont tirées à cinq exemplaire­s et vendues bien plus chères. J’aime l’idée que celle-ci puisse toucher une autre population.» Les galeries veillant à la cote de leurs artistes, Walter Pfeiffer a profité d’un changement d’écurie pour nous dire oui. Il est actuelleme­nt représenté par Gregor Staiger, à Zurich.

Le septuagéna­ire reste très sollicité. En cette mi-novembre, il revient d’un séjour à New York, invité par le Swiss Institute pour promouvoir un livre de dessin couronnant cinquante ans d’activité. Le Zurichois donne régulièrem­ent des ateliers à la F+ F Ecole d’art et media design et vient quelques fois enseigner à l’ECAL. Ce contact avec la jeunesse ne cesse de le ravir et de l’étonner. «Cela a toujours été ainsi. J’ai d’abord été un jeune avec des jeunes, puis je suis devenu vieux et il y avait toujours des jeunes, maintenant je suis super vieux et il y a encore des jeunes.» Walter Pfeiffer s’est mis à l’iPhone pour pouvoir «instagrame­r» plus facilement. Les shootings de mode l’enthousias­ment moins qu’auparavant. «Il y a moins d’audace, il est plus difficile d’être créatif aujourd’hui, en particulie­r lorsque le mannequin porte des millions de dollars autour du cou.» Restent les coulisses.

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(DOMINIC BÜTTNER POUR LE TEMPS) Après un premier emploi de graphiste chez Globus, Walter Pfeiffer se met au Polaroid au début des années 1970. Depuis, il ne s’est jamais considéré comme un photograph­e.

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