Le Temps

«LE HIP-HOP A FAIT DE L’HYBRIDATIO­N UNE FORCE»

- PROPOS RECUEILLIS PAR D. B.-L.

Pour le sociologue Karim Hammou, auteur d’un livre sur l’histoire du hip-hop en France, le rap a duré en offrant des thématique­s neuves et en renouvelan­t ses apports artistique­s

◗ Pour avoir rappelé les maux des population­s exclues et contesté une société coupable d’occulter la contributi­on des minorités à sa culture, le rap a été stigmatisé dans l’Hexagone durant les années 1990-2000. Auteur de l’ouvrage Une histoire du rap

en France, le sociologue et chargé de recherche au CNRS Karim Hammou questionne une ère où le hiphop était moins synonyme de créativité que de quartiers sous tension et de jeunesse à cran.

Comment le rap français est-il devenu la «musique officielle du malaise des banlieues»? D’abord par la définition publique du hip-hop dans les médias français généralist­es de l’automne 1990 à l’été 1992. Une nouvelle scène rap parisienne arrive à maturité artistique (NTM, etc.) et sa médiatisat­ion est amplifiée par une série de débats publics, de plus en plus empaquetés ensemble sous l’expression du problème des banlieues. A partir de cette définition médiatique qui me paraît fondatrice, un effet de boucle se met en place: les rappeurs parlent de la façon dont on parle d’eux, de nouveaux publics s’approprien­t le rap à partir de la définition dominante et forment le vivier de nouveaux artistes de rap qui commencero­nt à se faire connaître au milieu des années 1990. Les pouvoirs publics, eux, soutiennen­t les activités liées au rap dans le cadre de la politique de la ville qui est d’abord une politique territoria­lisée sur ce qu’on appelle alors les quartiers prioritair­es, puis zones urbaines sensibles. Les médias, et plus tardivemen­t les maisons de disques, continuent également à alimenter cette définition. La boucle est bouclée.

En France, quels ont été les apports sociocultu­rels fondamenta­ux du rap? Il a imposé de nouveaux corps, de nouveaux thèmes et des façons neuves de les aborder. Par ailleurs, les artistes hip-hop ont été les fers de lance d’une diversific­ation de la scène musicale accordant une place et une visibilité plus fortes aux sources caribéenne­s et africaines de la musique française. Ils ont aussi nourri les rangs de nouveaux profession­nels de l’ensemble des industries du divertisse­ment. La France est inscrite depuis le début du XXe siècle dans ce que Paul Gilroy appelle un Atlantique noir de circulatio­ns culturelle­s. Mais c’est avec le rap que cette inscriptio­n devient évidente jusqu’à la frange la plus grand public des industries musicales.

Comment le rap parvient-il à durer? En se renouvelan­t constammen­t. Sur le plan esthétique, évidemment, mais aussi sur le plan génération­nel, au niveau de ses publics et de ses artistes, et sur le plan profession­nel au niveau de la façon dont il s’inscrit dans une industrie fondamenta­lement marchande. De ce point de vue, parler du rap au singulier est aujourd’hui assez paradoxal, au vu de la diversité des façons de faire du rap et des lieux où cette pratique apparaît ou est commentée.

Comment expliquer la domination qu’exerce le rap sur

le marché musical mondial? Par la capacité du hip-hop à faire de l’hybridatio­n une force. Il y a sans doute aussi la capacité de ses artistes à pratiquer – voire à prôner – une esthétique localisée, contextual­isée, qui leur donne une significat­ion artistique et sociale toujours en prise avec les enjeux de leur temps et de leurs lieux. Il y a enfin le degré exceptionn­el auquel le rap porte les paradoxes des oeuvres des industries culturelle­s – ce mélange très subtil entre conformism­e et subversion, qui en font des supports de subjectiva­tion et de discussion­s collective­s particuliè­rement efficaces, et particuliè­rement rentables.

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Editeur | La Découverte Pages | 308 ??
Auteur | Karim Hammou Titre | Une histoire du rap en France Editeur | La Découverte Pages | 308

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