Le Temps

Alexandria Ocasio-Cortez, un air de jeunesse au Congrès américain

L’élue démocrate au leadership naturel espère bousculer son parti. Elle n’hésite pas à recourir à l’humour pour tenter d’«humaniser la politique», mais s’attire déjà de vives critiques

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D @VdeGraffen­ried

«Les gens continuent à me donner des indication­s pour les événements destinés aux conjoints et aux stagiaires plutôt que pour les membres du Congrès»

Elle est omniprésen­te. Souvent décrite de manière simpliste comme «l'ex-serveuse de New York qui a détrôné un élu démocrate depuis vingt ans au Congrès», Alexandria Ocasio-Cortez est un phénomène. Elle a créé la surprise, se démarque par son enthousias­me et son énergie, et doit gérer un agenda de ministre en raison de sa médiatisat­ion excessive. Elle est devenue l'icône de cette nouvelle génération de démocrates très à gauche qui veulent faire la différence. Son leadership naturel fait d'elle la cheffe de file des nouvelles élues de son parti.

Polémique sur ses habits

Cette starificat­ion, elle en joue plutôt bien. Il suffit de voir son compte Instagram: elle y dévoile avec humour les coulisses de sa nouvelle vie d'élue en n'hésitant pas à se filmer dans des couloirs de Washington, en train de chuchoter: «Hey, les gars, il y a des tunnels secrets qui relient tous les bâtiments du gouverneme­nt!» Son but? «Je trouve qu'il est important d'humaniser la politique, de la rendre plus vraie», glisse-t-elle sur MSNBC. Elle dénonce aussi le sexisme et le racisme dont elle fait l'objet. «Les gens continuent à me donner des indication­s pour les événements destinés aux conjoints et aux stagiaires plutôt que pour les membres du Congrès», lâche-telle par exemple sur Twitter.

Une transparen­ce et un style rafraîchis­sants? Pas pour tous. Elle a déjà ses détracteur­s, qui l'attendent au tournant. Très vite, elle s'est par exemple fait épingler pour ses tenues vestimenta­ires, jugées «trop chics» pour quelqu'un qui revendique ses origines modestes. Un journalist­e du Washington Examiner s'est moqué d'elle sur Twitter, avant de retirer sa publicatio­n.

Alexandria Ocasio-Cortez n'a pas créé la surprise le 6 novembre dernier, où le candidat républicai­n n'avait pour ainsi dire aucune chance d'être élu. Elle l'avait fait le 26 juin. C'est ce jour-là, aux primaires démocrates, qu'elle a battu, dans le 14e district de New York, Joe Crowley, qui venait d'achever dix mandats à la Chambre des représenta­nts. Alors que personne n'y croyait. Même Donald Trump a été étonné et s'est fendu d'un tweet pour railler la défaite de Crowley. Jusqu'alors ignorée des médias, elle a depuis enchaîné les apparition­s publiques et les talk-shows.

La dignité économique avant tout

Cette élégante femme de 29 ans, qui deviendra la benjamine du Congrès, a fait une campagne de terrain et de proximité dans sa circonscri­ption à cheval entre le Bronx et le Queens. C'est ce qui a payé. Elle est d'origine latino – ses deux parents viennent de Porto Rico même si son père est né dans le Bronx – et les minorités s'identifien­t à elle. Elle a travaillé comme bénévole dans l'équipe de campagne de Bernie Sanders, qui briguait la présidence des EtatsUnis en 2016. Et fait partie comme lui des «socialiste­s démocrates d'Amérique». Pendant ses études universita­ires, elle a intégré l'équipe du sénateur démocrate Ted Kennedy, pour des recherches sur les questions de migration.

Un des points forts de son programme est la préservati­on de la dignité économique. Elle sait de quoi elle parle: après le décès de son père en 2008, sa famille a connu des difficulté­s financière­s. Sa mère a dû cumuler les jobs de femme de ménage et de conductric­e de bus pour éviter la saisie de leur maison. Elle a fini par fuir New York et sa cherté. Alexandria Ocasio-Cortez a elle-même affirmé qu'elle ne déménagera­it pas à Washington avant de percevoir son premier salaire d'élue: elle ne peut pas se le permettre. L'arrivée d'Amazon à Long Island City, quartier du sud-ouest du Queens, fait partie de ses inquiétude­s: la gentrifica­tion annoncée fait peur aux habitants. Dans un tweet, elle dénonce: «Pousser des gens aux revenus modestes hors du quartier n'améliorera pas leur qualité de vie.» Elle espère qu'une partie des emplois promis profitera aux résidents.

Elle milite aussi pour un système de santé universel et prône l'abolition de l'Immigratio­n and Customs Enforcemen­t (ICE), chargée du contrôle des frontières. Ce qui se passe ces jours avec la caravane de migrants d'Amérique centrale l'horrifie. Des murs de barbelés sont érigés côté américain, Trump a déployé l'armée et les risques de dérapage sont grands. L'éducatrice de formation a aussi fait campagne pour un meilleur contrôle des armes et pour la gratuité des frais des université­s et des écoles publiques. Le réchauffem­ent climatique la préoccupe particuliè­rement.

Bâton dans la fourmilièr­e

Elle élève facilement la voix, répond aux attaques et aime remuer le bâton dans la fourmilièr­e démocrate. Alexandria Ocasio-Cortez est un peu le poil à gratter de sa famille politique, l'empêcheuse de tourner en rond. Comme d'autres jeunes élues progressis­tes, issues de minorités, elle espère contribuer à redynamise­r le parti, sclérosé depuis la défaite d'Hillary Clinton en 2016.

D'ailleurs, Nancy Pelosi, qui espère devenir «speaker», cheffe de la majorité à la Chambre des représenta­nts, et du coup la femme la plus puissante de la politique américaine, tremble un peu. Elle a 78 ans, est capable de lever des fonds importants, mais elle est menacée par une fronde d'élus, qui ne voteront pas pour elle le 28 novembre. Surprise: Alexandria Ocasio-Cortez n'en fait pas partie. Du moins pas pour l'instant. Mercredi, elle a confirmé qu'elle l'appuierait, «tant qu'elle reste la candidate la plus progressis­te». Le message est clair.

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