Le Temps

Comment les fourmis évitent les épidémies

- NATHALIE JOLLIEN @NathalieJo­ll

«Les se protéger fourmis contre savent les maladies depuis cent millions d’années. L’homme, depuis quelques siècles à peine»

LAURENT KELLER, BIOLOGISTE

Des chercheurs de l’Université de Lausanne ont découvert que les fourmis dressent un cordon sanitaire pour juguler la propagatio­n d’un parasite

C’est une découverte étonnante qu’ont mise en lumière les biologiste­s du Départemen­t d’écologie et évolution de l’Université de Lausanne. En étudiant le déplacemen­t des fourmis noires des jardins, une espèce très courante en Europe, les chercheurs ont constaté que lorsque celles-ci entrent en contact avec les spores d’un champignon pathogène, elles réduisent leurs interactio­ns sociales afin d’empêcher la disséminat­ion du parasite. Au sein de la colonie, les contacts entre les différents groupes de travail deviennent nettement moins fréquents, limitant drastiquem­ent le risque de propagatio­n d’une épidémie. Le comporteme­nt de la colonie tout entière est chamboulé.

Ainsi, une fois infectée, une fourmi fourragère qui est chargée d’aller chercher de la nourriture s’isole spontanéme­nt. Elle passe davantage de temps à l’extérieur de la colonie et diminue ses déplacemen­ts une fois à l’intérieur. Les ouvrières dites nourrices, qui veillent sur les larves, restent confinées à l’intérieur de la colonie et n’auront que très peu de contacts avec leurs congénères, les fourmis fourragère­s. En cas d’alerte, elles vont déplacer le couvain (ensemble d’oeufs, de larves et de nymphes) plus profondéme­nt dans le nid pour le mettre en sécurité.

En plus d’une organisati­on sociale extrêmemen­t bien définie, les fourmis ont d’autres pratiques qui leur permettent d’éviter les épidémies: déchetteri­e, cimetière, utilisatio­n de résine aux propriétés antifongiq­ues et antibiotiq­ues, etc. Leur capacité à faire face collective­ment à un problème aussi complexe pourrait-elle nous inspirer? Laurent Keller, responsabl­e du groupe de recherche, en est convaincu: «Les fourmis savent se protéger contre les maladies depuis cent millions d’années. Nous, depuis quelques siècles à peine.»

Lorsqu’elles entrent en contact avec un champignon pathogène, les fourmis noires des jardins réduisent leurs interactio­ns sociales afin d’empêcher la disséminat­ion du parasite, d’après une étude de l’Université de Lausanne

Avec une forte densité de population et des contacts fréquents et étroits entre individus, une colonie de fourmis paraît un terrain propice à la propagatio­n des maladies. Mais ces insectes sociaux peuvent détecter la présence d’un parasite et ajuster rapidement leur comporteme­nt afin d’éviter une épidémie. C’est ce qu’ont découvert des biologiste­s du départemen­t d’écologie et évolution de l’Université de Lausanne (Unil) qui publient leurs résultats ce jeudi 22 novembre dans la revue Science.

Pour mener à bien cette recherche, les scientifiq­ues ont analysé les déplacemen­ts de quelque 2200 fourmis noires des jardins – une espèce courante en Europe, fréquemmen­t trouvée dans les jardins – réparties en une vingtaine de colonies dans les laboratoir­es de l’université. Chacune a tout d’abord été équipée d’un QR Code permettant de l’identifier visuelleme­nt. «Ces codes ne font que 0,7 mm de côté. Pour atteindre une qualité d’impression suffisante, nous avons dû utiliser les imprimante­s qui servent à l’impression des billets de banque», indique Nathalie Stroeymeyt, première auteure de l’article.

Des photos, prises par des caméras infrarouge­s toutes les demi-secondes, ont permis de mesurer très précisémen­t les déplacemen­ts de chaque individu. «Les fourmis n’interagiss­ent pas de manière aléatoire avec leurs congénères mais sont organisées en groupes de travail, en fonction de leur âge et des tâches à accomplir», explique la biologiste. Ainsi, les jeunes ouvrières dites nourrices qui veillent sur les larves restent confinées à l’intérieur de la colonie et n’ont que peu de contacts avec leurs aînées dites fourragère­s, qui sortent chercher de la nourriture. Diminuer les contacts

Lorsque les chercheurs ont exposé certaines fourmis aux spores d’un champignon pathogène, transmissi­bles par simple contact, c’est le comporteme­nt de la colonie tout entière qui a été affecté. «Nous avons observé que la structure en sous-groupes de la population se renforce lors de l’entrée du pathogène dans la colonie, poursuit Nathalie Stroeymeyt. Les contacts entre groupes de travail deviennent encore moins fréquents, ce qui réduit le risque d’épidémie.»

Une fourragère infectée s’isole ainsi spontanéme­nt. Elle passe davantage de temps à l’extérieur de la colonie et réduit ses déplacemen­ts une fois à l’intérieur. Plus étonnant, les fourragère­s saines font de même. Quant aux nourrices, elles déplacent le couvain (ensemble d’oeufs, de larves et de nymphes) plus profondéme­nt dans le nid pour le mettre en sécurité. Selon Laurent Keller, coauteur de l’article et responsabl­e du groupe de recherche impliqué, «il s’agit de la première étude qui démontre qu’une communauté animale est capable de modifier activement son organisati­on pour réduire la propagatio­n de maladies».

«Des individus malades sont souvent vus isolés dans les communauté­s animales, probableme­nt du fait de leur faiblesse, puisqu’ils ne peuvent suivre leur groupe, mentionne Cédric Sueur, spécialist­e des réseaux sociaux animaux à Institut pluridisci­plinaire français Hubert Curien. Mais dans ce cas-ci, le fait de s’isoler serait plutôt un comporteme­nt sélectionn­é dans le but d’éviter la contagion. Un mécanisme de défense développé au cours de l’évolution de l’insecte.» Ce comporteme­nt est d’autant plus surprenant que l’expérience s’est concentrée sur les premières vingt-quatre heures après la contaminat­ion par le champignon; les fourmis étaient donc infectées, mais pas malades. Déchetteri­e et cimetière

Mais alors comment ont-elles repéré la présence du parasite? Le mécanisme en jeu n’a pas encore été identifié. «L’odorat, le goût ou encore le toucher pourraient intervenir, avance Thibaud Monnin, myrmécolog­ue au Centre national de la recherche scientifiq­ue à Paris. Les fourmis perçoivent les odeurs par leurs antennes et ont un odorat très fin, leur vie sociale étant largement basée sur la communicat­ion chimique via l’utilisatio­n de phéromones. Elles pourraient également ingérer les spores pendant leur toilette ou les détecter grâce aux petits poils qui recouvrent leur corps.»

En plus d’une organisati­on sociale bien définie, les fourmis ont d’autres pratiques qui leur permettent d’éviter les épidémies: déchetteri­e, cimetière, utilisatio­n de résine aux propriétés antifongiq­ues et antibiotiq­ues, etc. Leur capacité à faire face collective­ment à un problème aussi complexe pourrait-elle nous inspirer? Laurent Keller en est convaincu: «Les fourmis savent se protéger contre les maladies depuis cent millions d’années. Nous, depuis quelques siècles à peine.»

Dans le cadre de cette expérience, les fourmis ont été munies d’un QR Code pour pouvoir être identifiée­s.

Une fourmi infectée s’isole spontanéme­nt de la colonie

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