C’était l’oeil de Moscou
DISPARITION Le chef du renseignement militaire russe (GRU) est décédé mercredi «des suites d’une longue maladie». Il aura dirigé l’agence, impliquée dans une série d’opérations controversées contre l’Occident, pendant trois ans
Il était le bras armé de Vladimir Poutine. Le chef du service de renseignement militaire russe (GRU), Igor Korobov, est mort mercredi à 62 ans des suites d’une «longue maladie», après avoir dirigé durant trois ans ce service accusé de l’empoisonnement d’un ex-agent en Angleterre et de plusieurs cyberattaques à travers le monde. Son décès, au terme d’une année où le GRU a accumulé les fiascos, éveille quelques soupçons.
Le patron du renseignement militaire russe (GRU), Igor Korobov, est mort mercredi, à 62 ans, «des suites d’une longue maladie». Il avait été nommé en 2016. Entretemps, une série de ratages sans précédent de son agence a défrayé la chronique: cyberattaques retracées, empoisonnement raté d’un ancien agent du GRU passé à l’Ouest et plusieurs expulsions d’agents pris la main dans le sac. Mais peut-être aussi de succès, restés secrets.
Le fait qu’il soit mort d’une «longue maladie» alors qu’il fut nommé il y a moins de trois ans, au terme d’une année mouvementée pour son agence, a fait naître des soupçons. Son prédécesseur, Igor Sergoun, était aussi mort relativement jeune (58 ans), dans des circonstances troubles: le 1er janvier 2016 d’un arrêt cardiaque dans une maison de repos du FSB, selon Moscou. Mais deux jours plus tôt au Liban, selon l’agence américaine Stratfor. L’expert en relations internationales Vladimir Frolov assure que Korobov souffrait effectivement d’un cancer. Mais pourquoi alors restait-il en fonction? Peut-être parce que Vladimir Poutine, détestant paraître céder à la pression, a voulu préserver les apparences et maintenir formellement en place un homme tombé en disgrâce, le temps que la poussière retombe.
Korobov dirigeait une agence restée largement dans l’ombre jusqu’à sa nomination. En 2010, le GRU (abréviation signifiant «Agence de renseignement principale») a été renommé «Quartier général de l’état-major des forces armées», avec un acronyme russe si improbable (GUGSVSRF) que GRU est resté d’usage courant. Leur emblème fut jusqu’à 2010 une chauve-souris recouvrant le globe terrestre. Une incarnation russe de Batman. L’organisation possède ses propres forces spéciales pour les opérations clandestines. Ce sont elles qui ont pris le contrôle de la Crimée en février 2014, pendant que Vladimir Poutine prétendait qu’il s’agissait de «militants locaux» s’étant équipés «dans les magasins de surplus militaire». Ce qui distingue le GRU des deux autres agences de renseignement russe, c’est une plus grande prise de risques.
Formellement, Korobov avait pour tâche principale les opérations contre les groupes terroristes et militants en Syrie. Et notamment celle d’empêcher le retour en Russie des islamistes radicaux partis combattre en Syrie et en Irak. A ce titre, il s’était rendu à Washington en février 2018 avec les responsables d’autres agences de renseignement russe (FSB et SVR) pour rencontrer le renseignement américain. La Maison-Blanche avait alors provisoirement levé les sanctions personnelles visant Korobov depuis décembre 2016 pour ses «efforts visant à saper la démocratie».
Premier fait d’armes célèbre de Korobov: l’intrusion dans la messagerie du Parti démocrate, suivie d’une diffusion d’e-mails compromettants via WikiLeaks pendant la campagne présidentielle américaine. L’année suivante, des agents du GRU ont utilisé de faux profils sur Facebook dans le but de soutirer des informations sensibles sur la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Le GRU s’est fait pincer dans le coup d’Etat raté au Monténégro en 2016. Trois opérations du GRU ont été démasquées en Estonie, en Moldavie (2017) et en Finlande (2018).
Le fiasco le plus retentissant reste l’assassinat raté de l’ancien agent du GRU Sergueï Skripal et de sa fille en mars 2018 près de Londres. Les faux passeports des deux agents tueurs ont été publiés en septembre par Scotland Yard. Peu après, une équipe de journalistes indépendants regroupés sous le nom de Bellingcat ont établi leurs véritables identités et prouvé leur appartenance au GRU. Remontant les traces laissées par les agents Anatoli Tchepiga et Alexander Michkine, Bellingcat et ses partenaires russes de The Insider ont dévoilé une base de données contenant les véritables identités de centaines d’agents du GRU.
Premier fait d’armes célèbre de Korobov: l’intrusion dans la messagerie du Parti démocrate américain
Cherchant à compromettre l’enquête sur le scandale Skripal, le GRU a ensuite envoyé des agents aux Pays-Bas afin d’attaquer les serveurs du laboratoire de Spiez (BE), qui menait des analyses sur le poison chimique utilisé dans la tentative d’assassinat. Bilan de l’opération Skripal: une bonne centaine de diplomates russes (et d’agents secrets) ont été expulsés.
Ce qui n’a pas empêché Vladimir Poutine de féliciter le GRU début novembre pour avoir «porté un coup dur aux terroristes» en Syrie. Le remplaçant de Korobov a été désigné dès jeudi. Il s’agit du vice-amiral Igor Kostioukov, 57 ans, qui était jusque-là le premier adjoint de Korobov, et qui aurait déjà pris de facto les rênes du renseignement militaire depuis quelques mois, quand la «maladie grave» de Korobov s’était déclarée.
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