Le Temps

Airbnb évacue les colonies

Sous la pression, la plateforme de location d’appartemen­ts renonce à faire figurer les propriétés situées dans les colonies israélienn­es. Tollé!

- LUIS LEMA t @luislema

L’offre est particuliè­rement alléchante: à mi-chemin entre la vieille ville de Jérusalem et la mer Morte, une villa sur trois étages, avec terrasse et jardin, pouvant accueillir dix visiteurs pour moins de 30 francs par nuit et par personne. L’annonce prend bien garde de ne pas le mentionner, mais cette maison se trouve dans une colonie de peuplement israélienn­e, à Maale Adumim, au-delà des frontières reconnues d’Israël. Au terme d’une très longue bataille, le site Airbnb s’est engagé cette semaine à retirer de sa plateforme les propriétés de ce type, situées de facto en Cisjordani­e occupée. Cette décision – qui doit encore entrer dans les faits et dont semblent encore exclus Jérusalem-Est et le plateau du Golan – a provoqué une avalanche de réactions dans les médias israéliens et sur les réseaux sociaux. Une mesure «raciste», voire «antisémite», qui discrimine injustemen­t les propriétai­res juifs? Ou au contraire la preuve que les grandes entreprise­s d’internet sont, qu’elles le veuillent ou non, soumises à des règles et au respect du droit internatio­nal? Le débat est servi.

Cette décision d’Airbnb coïncide en réalité avec la publicatio­n d’un rapport rédigé par Human Rights Watch (HRW) sur la question. Dans ce rapport, l’ONG a décrit le statut des terres sur lesquelles ont été bâties ces propriétés, au terme de déclasseme­nts de terrains toujours pratiqués au détriment des Palestinie­ns. Elle a retrouvé certains des Palestinie­ns à qui les terres ont été volées, en violation du droit internatio­nal humanitair­e. Aujourd’hui, même s’ils le voulaient, les propriétai­res palestinie­ns ne seraient même pas en mesure de louer ces maisons pour y passer quelques nuits: ils n’obtiendrai­ent pas les autorisati­ons nécessaire­s, du fait de leur carte d’identité palestinie­nne. De sorte qu’Airbnb participe bien à une «discrimina­tion fondée sur la citoyennet­é», arguait HRW. Bien plus: en encouragea­nt la location de ces propriétés, la firme «contribue à la viabilité économique des colonies et à la perception de leur légitimité».

Airbnb a donc cédé, et la réaction du gouverneme­nt israélien ne s’est pas fait attendre. Et le Sahara occidental occupé par le Maroc? Et le Tibet? Et la Crimée? Pourquoi ces territoire­s ne seraient-ils pas, eux aussi, concernés par des mesures similaires, interrogen­t des responsabl­es, dont l’argumentat­ion est reprise par des centaines d’internaute­s. Alors que, ailleurs, l’image d’Airbnb est sérieuseme­nt malmenée en ce qu’elle contribuer­ait au tourisme de masse et à la désertific­ation des centres-villes, les appels au boycott ont commencé à fleurir ici pour une raison bien différente: la plateforme se serait rendue coupable de soutenir une politique «anti-israélienn­e», et de se faire le relais de positions «antisémite­s», en ce qu’elle vise spécifique­ment des juifs. D’ores et déjà, la ministre de la Justice israélienn­e, Ayelet Shaked, a promis de porter plainte contre la plateforme. Et si l’on en croit le témoignage des internaute­s, nombreux sont ceux qui se passeront désormais des services d’Airbnb.

Dispute insoluble

Alors qu’Israël occupe les territoire­s palestinie­ns depuis la guerre des Six-Jours de 1967, le thème est loin d’être nouveau. Mais en prenant aujourd’hui le détour de la location d’appartemen­ts, il a obligé Airbnb à prendre position sur une question qui est présentée par le gouverneme­nt israélien comme une dispute historique insoluble. A la plateforme de location, désormais, de dessiner, maison par maison, les frontières d’un Etat d’Israël en suspens depuis plus d’un demisiècle.

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(MENAHEM KAHANA/AFP) Vue d’un appartemen­t à louer vers Ramallah.

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