Les populistes contre la souveraineté
Les populistes ont raison de plaider en faveur de la souveraineté nationale, mais il ne faut pas les suivre dans les idées qu’ils avancent pour la défendre. Ils prétendent incarner la volonté populaire. En fait, la théorie politique a toujours eu de la peine à définir le peuple de la démocratie, à déterminer les procédures pour assurer sa représentativité. Les citoyens poursuivent des intérêts divergents; ils sont inspirés par des valeurs et des aspirations disparates et fluctuantes. Ils partagent néanmoins des besoins élémentaires de sécurité qui sont assez facilement identifiables.
Un Etat démocratique doit défendre ses citoyens contre les menaces étrangères et leur offrir un régime de protection sociale efficace. Or il s’est avéré, depuis le XXe siècle surtout, que les Etats ne pouvaient agir seuls dans ces domaines. Les forteresses d’antan sont devenues caduques, car elles ne résistent pas aux armes modernes. Aucun Etat européen ne peut se défendre sans adhérer à un mécanisme de sécurité collective ou sans bénéficier de sa protection. Pour cette raison, la plupart d’entre eux ont adhéré à l’OTAN. Ils ont convenu qu’une attaque armée contre l’un ou plusieurs des Etats membres de cette organisation serait considérée comme une attaque dirigée contre tous les autres.
La Suisse a fondé sa défense militaire sur le principe de la neutralité armée, mais il s’agit d’un mythe chargé d’hypocrisie, car n’importe quel ingénu doit savoir qu’elle ne pourrait l’assumer en temps de crise et d’agression sans la protection implicite des Etats qui l’entourent. En réalité, elle est déjà incapable d’affronter seule les dangers protéiformes du terrorisme, les cyberattaques massives et quotidiennes, les défis des mouvements migratoires et la dégradation de l’environnement planétaire sans concertation régulière et l’appui des autres pays occidentaux. Et lorsqu’il s’agit de son ordre politique intérieur, que signifie la défense de sa souveraineté nationale sans l’assise d’un régime de sécurité sociale performant? Le maintien et le développement de son ordre démocratique et de ses valeurs libérales dépendent des liens d’interdépendance qu’elle entretient avec ses voisins et plus largement avec le reste du monde. Il dépend donc des mécanismes de coopération internationale, par conséquent des nombreuses instances et réunions internationales où s’élaborent et se négocient les grands enjeux du commerce, de la finance, de la monnaie, des politiques de la recherche et de l’éducation, de l’environnement et du développement.
Ainsi, la souveraineté des Etats se renforce dans ces enceintes internationales, dans tous les espaces de concertation et de décision où se développe le droit international, à savoir un ensemble de normes et de procédures qui imposent certes des obligations, mais tout en conférant des droits. Le processus d’intégration européenne représente une avancée remarquable en matière de paix et de bien-être sur le Vieux-Continent.
Malheureusement, les discours démagogiques des populistes sur la souveraineté occultent la réalité des interdépendances entre les Etats et les nécessités de coopération internationale qui en découlent. En demandant le retour au «réduit national», ils cultivent des chimères, reflétant leur nostalgie du passé. Ils rêvent d’une société qui aurait résisté aux changements historiques et qui n’aurait pas été altérée par les progrès des armements et par les dynamiques de la mondialisation. On se retrouverait sur le Grütli, sans migrants, au coeur de l’Europe mais loin de ses problèmes politiques. En Suisse, comme ailleurs, les dirigeants populistes entretiennent des visions politiques illusoires, puisqu’ils avancent des positions et usent d’un style caractérisés par une représentation simplifiée des enjeux économiques et sociaux. Ils s’adressent à des gens qui se laissent guider par leurs émotions xénophobes et leur impatience. Leur contestation démagogique s’affirme aussi dans l’utilisation abusive de certaines procédures démocratiques. Elle va trop souvent de pair avec le dénigrement des codes de bienséance qui devraient être de rigueur dans l’espace public. Il n’est pas rare en effet qu’ils cultivent une forme d’encanaillement et d’indécence, brisant par leurs provocations les exigences de la vertu républicaine et de la responsabilité sociale.
Le populisme est le symptôme néfaste d’un désir d’intégration nationale légitime. Il n’existe pas d’ordre politique et culturel universel. Les Etats-nations sont donc nécessaires à l’organisation et à la protection des sociétés. Le maintien de l’ordre politique et social exige l’entretien de rapports de solidarité et de responsabilité mutuelle entre les citoyens. Il requiert par conséquent le partage d’un idéal national, fondé sur l’acceptation d’une histoire commune et le maintien d’une volonté de vivre ensemble. Or le grand défi de notre époque consiste à entretenir ces liens de citoyenneté tout en confortant les mécanismes institutionnels qui permettent de faire fructifier les interdépendances nécessaires des nations. C’est la raison pour laquelle le développement du fédéralisme dans le cadre de l’UE est une expérience à poursuivre. La Suisse devrait y contribuer en participant activement à ce projet.
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On se retrouverait sur le Grütli, sans migrants, au coeur de l’Europe mais loin de ses problèmes politiques