Le Temps

Cendrillon en robe de bal à l’Opéra de Lausanne

- PROPOS RECUEILLIS PAR VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb

Dans sa version du conte, Pauline Viardot a remplacé la belle-mère par le baron de Pictordu, ancien bagnard excentriqu­e incarné par Alexandre Diakoff (au centre, entre les deux soeurs de Cendrillon).

En 1904, Pauline Viardot met en musique le conte de Perrault. Cette opérette pour piano, Didier Puntos l’a adaptée en version orchestral­e, sublimant sa fraîcheur. A découvrir dès vendredi

tUne jeune fille esseulée, une pantoufle de verre (ou était-ce de vair?), une horloge qui sonne et un carrosse polymorphe: depuis que Charles Perrault et les frères Grimm l’ont couché sur papier, le conte Cendrillon a traversé les continents et les cultures, se voyant repris et remanié par des artistes inspirés. Dont de grands compositeu­rs, comme Massenet, Isouard, Rossini… et Pauline Viardot. Cette compositri­ce, cantatrice et pianiste française de la deuxième moitié du XIXe, élève de Liszt et compère de Clara Schumann, a 83 ans (!) lorsqu’elle transforme cette fable allégoriqu­e en opérette de salon pour piano et sept chanteurs.

Une oeuvre aussi pétillante que méconnue, à laquelle l’Opéra de Lausanne a voulu offrir un coup de projecteur – et d’éclat. Pour cela, l’institutio­n a fait appel à une fine plume, Didier Puntos, compositeu­r et pianiste français qui avait déjà orchestré L’enfant et les sortilèges à l’Opéra en 2015. Il a mis cinq mois à retravaill­er la partition originale de Pauline Viardot pour concocter une version destinée aux 12 musiciens du Sinfoniett­a – qu’il dirigera depuis le tabouret de son piano. Rencontre avec celui qui a offert à Cendrillon ses nouveaux habits de lumière.

COMPOSITEU­R ET PIANISTE

«Aujourd’hui, on redécouvre Pauline Viardot et j’espère que cela fera tache d’huile»

L’histoire de Cendrillon a été maintes fois revisitée. A quoi ressemble celle de Pauline Viardot?

Elle allie magie, merveilleu­x, comique et témoigne aussi d’un réel parti pris. Pauline Viardot a choisi de se concentrer davantage sur le thème de la perte de la mère que sur la figure du prince charmant, qui permet surtout à Cendrillon de s’émanciper. Elle a également édulcoré la rivalité entre Cendrillon et ses deux soeurs. Même si notre metteur en scène, Gilles Rico, a tenu à les rendre plus chipies qu’elles ne l’étaient à la base!

Quel regard portez-vous sur cette compositri­ce?

D’abord, c’est une femme, ce qui n’est pas rien au vu de l’époque qui l’a vue naître. Le fait que cette partition réapparais­se aujourd’hui, le message est fort! C’est également un personnage étonnant, qui a parcouru un siècle de musique et côtoyé les plus grands: da Ponte, le librettist­e de Mozart, l’a tenue sur ses genoux et à la fin de sa vie, elle encouragea­it Stravinski en pleine compositio­n du Sacre du printemps! Les Viardot ayant été obligés de s’exiler à Baden-Baden lors du Second Empire, on entend dans sa musique un mélange surprenant de traditions germanique­s et françaises. Aujourd’hui, on est en train de redécouvri­r Pauline Viardot et j’espère que cela fera tache d’huile.

Qu’est-ce qui vous a plu dans la partition originale de «Cendrillon»?

Disons-le, l’écriture pianistiqu­e de cette opérette est plutôt sommaire. Rien à voir avec Pelléas et Mélisande, par exemple, qui avait été créé à la même époque. Mais ce qui m’a touché, c’est la fraîcheur qui s’en dégage, plutôt inattendue quand on pense que Viardot avait alors plus de 80 ans! On sent que son but était avant tout de se faire plaisir.

Comment avez-vous approché le travail d’adaptation?

D’abord, j’ai décidé que je ne voulais pas d’un grand orchestre. Parce que la durée de l’oeuvre, environ trois quarts d’heure, ne le justifiait pas, mais aussi parce que je souhaitais garder la couleur un peu décalée, la fraîcheur de timbre et l’intimité qui caractéris­ent cette opérette de salon – même si j’en ai repoussé les murs, en quelque sorte. Après, j’ai lu le livret, je me suis plongé dans la musique et me suis laissé cinq mois. Il faut que ça mûrisse, que les choses se décantent, s’imposent d’elles-mêmes.

Remanier une oeuvre sans la trahir, c’est délicat?

C’est la grande question. Que se permet-on, jusqu’où va-t-on? Si on se contente de distribuer la partie de piano à 12 instrument­s, ça n’a aucun sens. Transposer l’univers tel quel, ce serait là une trahison. Il faut garder l’esprit de l’oeuvre, respecter les fondamenta­ux mélodiques, harmonique­s, rythmiques, mais en étoffant la musique, en la faisant exister différemme­nt. J’ai donc retravaill­é les thèmes de manière très libre, en jouant beaucoup sur les relais, la discussion entre les musiciens. Mais évidemment, j’espère ne pas avoir mis de moustache à La Joconde…

Qu’avez-vous mis de vous dans cette nouvelle version?

Quand même pas mal! Sans jouer le pastiche ou l’ersatz de Pauline Viardot, j’ai pris le parti d’écrire des choses entièremen­t de ma plume, en veillant à ce que la couleur, la pulsation, la texture soient les plus cohérentes possibles avec l’ensemble: des postludes notamment, pour certains airs qui se terminaien­t très abruptemen­t, à coups de huit mesures par-ci, huit mesures par-là. Et puis Gilles Rico avait une idée de mise en scène très claire et m’a demandé de développer le début du troisième tableau, sur cinq ou six minutes, en mettant notamment en musique un cauchemar de Cendrillon. J’ai repris l’air d’ouverture et l’ai rendu méconnaiss­able!

Comment espérez-vous que le jeune public reçoit votre musique?

L’oeuvre étant méconnue, je ne suis pas sûr que mon apport soit réellement perçu. Mais dans l’idéal, j’aimerais que ça suscite quelque chose, de positif ou négatif, et qu’on vienne m’en parler à la fin!

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(ALAN HUMEROSE)
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DIDIER PUNTOS

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