Le Temps

Paris prêt à restituer ses oeuvres spoliées à l’Afrique

- CATHERINE FRAMMERY @cframmery

Le président Macron reçoit officielle­ment aujourd’hui un rapport préconisan­t le retour en Afrique des oeuvres accaparées par la France, notamment pendant la colonisati­on. Un séisme à venir

Faudra-t-il bientôt fermer les travées consacrées à l’art africain du Musée du Quai Branly, parce qu’elles auront perdu leurs plus belles pièces? La polémique bat déjà son plein en France, à propos d’un rapport qui n’est officielle­ment rendu que ce vendredi à Emmanuel Macron, mais dont les auteurs se sont déjà répandus dans la presse nationale et internatio­nale cette semaine, bravant le protocole pour déminer un terrain explosif.

Tout est parti d’une promesse du président français en visite à Ouagadougo­u, en novembre 2017: d’ici à cinq ans, il voulait que «les conditions soient réunies pour des restitutio­ns temporaire­s ou définitive­s du patrimoine africain en Afrique». Une révolution, l’Etat français ayant toujours refusé d’étudier les demandes de ses ex-colonies, les collection­s nationales étant inaliénabl­es par le Code du patrimoine. Un an plus tard, le rapport de l’historienn­e de l’art française Bénédicte Savoy et de l’économiste sénégalais Felwine Sarr matérialis­e cet engagement en proposant des modalités de restitutio­n des oeuvres acquises dans des conditions douteuses pendant la période coloniale. Et c’est peu dire que le nombre d’oeuvres en jeu donne le vertige.

Car plus de 90000 objets d’art africain figurent aujourd’hui dans les musées français. Certains proviennen­t de butins de guerre amassés par des soldats. D’autres ont été acquis par des marchands d’art pour une fraction de leur valeur, puis revendus à des collection­neurs qui les ont ensuite légués. D’autres encore ont été rapportés par des ethnologue­s qui ont cru bien faire en les mettant à l’abri dans de grands musées. Enfin, les trafiquant­s locaux aussi ont joué un rôle. De très nombreuses oeuvres acquises entre 1885 et 1960 l’ont ainsi été «par vice de consenteme­nt» et pourraient donc être rendues aux pays d’Afrique qui les demandent, si la législatio­n est modifiée comme le recommande le rapport. Au Musée du Quai Branly, 46000 pièces sur 70000 pourraient être concernées. Déni de mémoire

«Il ne s’agit pas de vider les musées français», plaide Bénédicte Savoy. Selon elle, environ 80% de l’art d’Afrique aurait quitté le continent, une anomalie historique, un déni de mémoire, il faut donc procéder à un «rééquilibr­age». Mais on tremble déjà, dans la quinzaine de musées français comportant d’importante­s collection­s africaines. A Londres, à Berlin et ailleurs, on s’inquiète aussi du précédent que pourrait créer l’exemple français. Enfin, les collection­neurs privés, pas concernés, savent bien qu’eux aussi vont faire face à de nouvelles demandes. «Tout est aligné» pour une «onde de choc» en Europe et en Afrique, se réjouit dans Libération la porte-parole de la restitutio­n, la Béninoise Marie-Cécile Zinsou.

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