Le Temps

Leçon autrichien­ne pour comprendre la politique suisse

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Plus jeune chef de gouverneme­nt du monde à 32 ans, Sebastian Kurz ne laisse pas indifféren­t. Le discours du chancelier autrichien est simple, clair, décidé, assuré. Bref, c’est un homme de conviction. Libéral-conservate­ur, proeuropée­n, tenant un discours de fermeté sur l’immigratio­n, il a tout pour plaire dans un pays ébranlé par un afflux de réfugiés en 2015, mais qui reste convaincu par le projet européen. L’Autriche se veut un pont entre l’ouest et l’est du continent. Kurz n’a qu’un seul motif d’embarras: sa formation de centre droit, le parti populaire autrichien (ÖVP), a dû s’allier avec la droite nationalis­te pour gouverner, le FPÖ, le Parti de la liberté, fondé par d’anciens nazis.

Sebastian Kurz était de passage en Suisse cette semaine. A Berne, il a pu rassurer Alain Berset: l’Autriche, pays frère, restera un allié de la Suisse au sein de l’UE. Les négociatio­ns techniques pour un accord-cadre étant bouclées, le moment est venu de décider. La balle est dans le camp suisse, mais Berne peut compter sur le soutien de Vienne en matière de lutte contre le dumping social, explique-t-il dans une interview à la NZZ. Il est bon d’être compris.

Sebastian Kurz comprend d’autant mieux la Suisse qu’il voit dans la représenta­tion politique de notre pays une forme d’anticipati­on de la coalition qu’il a formée à Vienne. Car, pour lui, l’UDC c’est le FPÖ, la seule différence étant que le parti de Christoph Blocher est plus puissant et depuis plus longtemps au pouvoir. C’est ce qu’il a expliqué sur la RTS à Darius Rochebin, qui l’interpella­it sur cette nouvelle droite, décomplexé­e, qu’il incarne et qui n’aurait plus de réticence à gouverner avec l’extrême droite. Feignant de s’étonner de cette question, Kurz a rétorqué que son parti étant «au centre», le FPÖ est à droite «comme l’UDC».

Bien que jeune, Sebastian Kurz n’ignore pas son histoire, ni celle du continent. Il sait que la comparaiso­n a ses limites. A la NZZ, qui évoque le «prix à payer» pour les «faux pas» de son partenaire FPÖ, le chancelier répond: «Lorsque se produit ce qui n’a pas lieu d’être en Autriche, je le critique et fais en sorte que ce comporteme­nt ne se répète plus. Dans la plupart des cas, les responsabl­es du FPÖ intervienn­ent d’eux-mêmes. Le changement prend du temps. Nous savons de quelle tradition est issu le FPÖ.»

Comme rien n’est dit, il faut rappeler que depuis la formation de la coalition ÖVP/FPÖ, plusieurs scandales ont éclaté: découverte de chants néonazis et de répertoire­s antisémite­s chez des militants FPÖ, tentatives d’intimider la presse de la part de son leader, Herbert Kickl, par ailleurs ministre de l’Intérieur. Il y a quelques semaines, des milliers de manifestan­ts protestaie­nt à Vienne contre la «banalisati­on» de la xénophobie.

La tradition et le passé nazi du FPÖ – et de l’Autriche – sont justement ce qui distingue ce parti

Le programme politique actuel du FPÖ et celui de l’UDC sont très similaires

de l’UDC. C’est ce qui permet de le ranger dans la catégorie d’extrême droite alors qu’on préférera s’en tenir au qualificat­if de national-populiste pour la formation helvétique. La nuance est de taille et coupe court à la tentative de banalisati­on de son allié par Sebastian Kurz. Mais, pour le reste, le chancelier n’a pas tort: le programme politique actuel du FPÖ et celui de l’UDC sont très similaires. Il est tout aussi vrai que le FPÖ de Kickl s’est largement inspiré de l’exemple de Blocher pour formuler ses thèmes de campagne – surpopulat­ion étrangère, chaos de l’asile, contrôle des frontières, discours antieuropé­en, danger de l’islam, démocratie directe – et assurer son marketing politique.

Les conservate­urs autrichien­s sont donc bien placés pour comprendre la pression qui s’exerce sur leurs collègues suisses du PLR. Même s’il n’est pas question de coalition dans notre système politique, le bloc PLR/UDC peut faire la différence. C’était d’ailleurs l’espoir du chancelier autrichien dans un domaine en particulie­r, celui de la migration. Avec les Etats-Unis de Trump et la Hongrie d’Orban, l’Autriche était le seul Etat à sortir du bois pour annoncer son refus de signer le Pacte mondial de l’ONU sur les migrations il y a encore quelques jours. Un embarras visà-vis des autres Etats d’Europe occidental­e. Le lendemain du passage de Kurz à Berne, le Conseil fédéral se ralliait à sa position tout en se défaussant sur le parlement.

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