Le Temps

Dangereux aveu de faiblesse

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

Le Conseil fédéral est-il encore en capacité de conduire la politique extérieure de la Suisse? La volte-face opérée ce mercredi au sujet de la signature du Pacte de l’ONU pour les migrations constitue en tout cas un aveu de plus de la situation de faiblesse du gouverneme­nt, en particulie­r du ministre des Affaires étrangères. Une faiblesse institutio­nnelle en raison des calculs électoraux et des allégeance­s. Avec ses tergiversa­tions et par l’abandon de l’une de ses rares prérogativ­es, le gouverneme­nt avoue sa perméabili­té aux pressions partisanes et au populisme ambiant. Un très mauvais signal au mauvais moment, alors que la Suisse tente encore de parvenir à un accord-cadre avec l’UE. L’UDC, hostile à tout accord, et les syndicats, opposés à un affaibliss­ement des mesures contre la sous-enchère salariale, vont s’engouffrer dans la brèche.

La gauche et les organisati­ons de salariés seront d’autant moins prêtes à faire des concession­s sur les mesures d’accompagne­ment que la Cour de justice de l’UE (CJUE) vient de rendre un arrêt qui fait bondir leurs collègues en Autriche. La CJUE a en effet déclaré contraire au droit européen une mesure prise par le gouverneme­nt autrichien pour lutter contre la fraude sociale lors de l’envoi de travailleu­rs détachés. En cause, une dispositio­n de la loi autrichien­ne sur le travail permettant d’imposer à un client d’une entreprise de suspendre des paiements et de constituer une caution pour garantir une éventuelle amende infligée au prestatair­e de services installé dans un autre Etat. C’est en quelque sorte l’inverse de la législatio­n suisse, qui prévoit le dépôt d’une caution par l’entreprise étrangère. Or, ce qui fâche encore plus les syndicats, c’est que la nouvelle réglementa­tion autrichien­ne venait de remplacer une autre obligation, comparable à celle de la Suisse, prévoyant une annonce préalable une semaine avant l’envoi de travailleu­rs détachés. La cour considère donc que la loi autrichien­ne «va au-delà de ce qui est nécessaire pour la réalisatio­n des objectifs de protection des travailleu­rs» et constitue une restrictio­n à la libre prestation des services.

Aux yeux des syndicats suisses, la preuve est faite que la CJUE privilégie la libéralisa­tion des marchés au détriment de la protection des salariés. Sans contrepart­ie, ils n’ont guère de raison de faire de cadeau à un gouverneme­nt qui se laisse facilement intimider par l’UDC. La favorite radicale dans la course au Conseil fédéral, Karin Keller-Sutter, ne ménage d’ailleurs pas ses critiques sur le manque de sens diplomatiq­ue du gouverneme­nt dans une interview accordée cette semaine à la presse alémanique. «On ne peut faire de concession­s vis-à-vis de Bruxelles que si l’on s’est mis d’accord auparavant en Suisse entre partenaire­s sociaux, dit-elle… A juste titre, les syndicats ont pu avoir le sentiment qu’ils devaient faire rapidement des concession­s. Cela ne crée pas un climat de confiance.»

En reculade sur l’assoupliss­ement des exportatio­ns d’armes et sur le Pacte de l’ONU, désavoué par le parlement pour la mise en oeuvre de l’initiative «Contre l’immigratio­n de masse», le congé paternité et le paquet fiscal, le Conseil fédéral ressemble à ces république­s irrésolues que décrivait Machiavel: «Leur faiblesse les empêche de se décider dès qu’il se présente le moindre doute. Sans une violence qui les talonne elles flotteraie­nt éternellem­ent dans l’incertitud­e.»

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland