Le Temps

Armée, la Garde suisse se profession­nalise

Après les attentats de Paris en 2015, l’armée du pape a décidé de renforcer sa formation pour faire face aux défis sécuritair­es d’aujourd’hui. Sa réforme s’accompagne d’un effort de communicat­ion: elle a ouvert ses portes au «Temps»

- ANTONINO GALOFARO, ROME @ToniGalofa­ro

Porte Sainte-Anne, une des entrées du Vatican, à l’est de la place Saint-Pierre. Les gardes suisses sont discrets. Ils filtrent ici passants et véhicules pouvant entrer dans le plus petit Etat du monde. Ils sont vêtus d’un uniforme bleu, recouvert d’un manteau noir en cas d’intempérie­s. Pas question d’attirer l’attention des badauds avec l’uniforme de gala bleu, jaune et rouge si connu dans le monde entier. Mais, en cette journée de mi-novembre, une femme hurle, affirme avoir été aveuglée par l’un des militaires suisses, rompt la routine de la porte vaticane.

Leçon des attentats de Paris

Selon la presse transalpin­e, une Italienne, curieuse, a insisté pour entrer au Vatican, mais un soldat du pape l’en a empêchée au moyen d’un spray au poivre. D’après d’autres sources, il s’agirait d’une «Argentine hystérique ayant tenté de forcer le passage». La garde pontifical­e explique que le soldat a dû faire face à une «réaction agressive et violente». Aucun excès de zèle, donc. Ce genre d’incidents a lieu «deux à trois fois par an, généraleme­nt avec des personnes instables ou ivres», précise le capitaine Cyril Duruz. «La peur de possibles attentats ou de gestes fous au Vatican a fait perdre patience à un garde», écrit pourtant le quotidien romain Il Messaggero.

La plus petite armée du monde est en réalité bien consciente de sa mission, le Vatican étant une cible privilégié­e. Elle a ainsi décidé de se profession­naliser. «La formation a été revisitée après les attentats de Paris en 2015, détaille le lieutenant-colonel Philippe Morard, vice-commandant du corps. Avec notamment un mois de formation de base auprès de la police cantonale du Tessin. Nous mettons l’accent sur un entraîneme­nt régulier au tir et à la défense personnell­e.» En cas de menace élevée, les gardes seront donc désormais armés. Ceux qui accompagne­nt le pape François, par exemple lorsque ce dernier se déplace dans sa papamobile, le sont déjà.

C’est à Isone, au Tessin, que ces gardes d’un nouveau type sont en formation. Pendant quatre semaines, ils suivent des cours théoriques, notamment sur la gestion du stress, acquièrent des bases juridiques sur le droit lié aux armes et à la légitime défense. Ils s’entraînent à la manipulati­on des armes à feu, au tir à distance ou rapproché, à la défense à mains nues, au contrôle de personne ou de véhicule. Cette formation, bien que réduite à un mois, est celle que suivent les aspirants policiers. Chaque garde suisse dispose ensuite d’un permis de port d’arme et pourra s’entraîner dans des stands de tir romains. L’utilisatio­n du Taser est aussi envisagée.

«Nous savons comment réagir à toute éventualit­é selon des scénarios prédéfinis, autour du pape et à l’intérieur du palais apostoliqu­e, complète le lieutenant-colonel Philippe Morard. Nous procéderio­ns par étapes, selon le niveau de menace indiqué par nos partenaire­s.» Jusqu’à la possibilit­é de s’équiper de gilets pare-balles et d’armes à feu. Mais «notre première arme reste cependant la communicat­ion, en évitant la surenchère, précise l’officier. L’usage de l’arme reste donc un ultima ratio.» Car si l’armée pontifical­e se réforme, elle n’en oublie pas moins sa mission première, inchangée depuis plus de cinq siècles: assurer la sécurité du pape, un homme prônant la non-violence.

La première personne que François voit chaque matin est ainsi un garde suisse. Depuis l’élection du souverain pontife en mars 2013, la garde pontifical­e a un cahier des charges plus important. Elle est présente en plus grand nombre lors des déplacemen­ts à l’étranger. La réforme comprend aussi un volet administra­tif, visant à augmenter les effectifs de 110 à 135 membres. «Le nombre d’heures supplément­aires étant en perpétuell­e augmentati­on, notre commandant a décidé de réagir, confie son adjoint Philippe Morard. La situation devient pénible, nous avons besoin de plus d’hommes.» Un gros processus de recrutemen­t est donc en cours, mais, face aux difficulté­s, le corps a décidé de plus et de mieux communique­r.

Le quartier suisse du Vatican sera entièremen­t reconstrui­t. La nouvelle caserne est devisée à 50 millions de francs et son chantier pourrait durer jusqu’en 2024, selon le portail d’informatio­n Cath.ch. L’augmentati­on de l’effectif, mais aussi la vétusté des bâtiments actuels et l’assoupliss­ement par le pape de la règle du célibat pour les gardes ont rendu cette restructur­ation indispensa­ble. Les nouveaux locaux pourront accueillir plus de familles: s’il fallait auparavant atteindre le grade de caporal pour se marier, il suffit désormais aux gardes d’avoir servi durant cinq ans et de s’engager pour trois années supplément­aires.

Sacrifier sa vie, si nécessaire

La pluie s’abat lourdement sur les pavés d’une arrière-cour du vieux quartier suisse. Antonio Maria n’est pas encore parti à Isone pour la dernière partie de sa formation. Ce Bernois de 29 ans, tout juste arrivé à Rome, partage un café avec le sergent Guillaume Favre, son instructeu­r. Les autres recrues suivent un cours d’italien, dont il est dispensé. Sous une horloge Mondaine des CFF, les deux hommes évoquent aussi les risques de leur service. La jeune recrue ne peut s’empêcher de se rappeler la formule qu’il sera amené à réciter le 6 mai prochain, lors de sa prestation de serment: «[…] de me dévouer pour eux [le pape et ses successeur­s] de toutes mes forces, sacrifiant, si nécessaire, ma vie pour leur défense».

Ce mardi, sa journée a débuté à 7h avec un cours théorique. Un exercice de positionne­ment, marche et salut précède le repas de 13h. La formation reprend ensuite après une pause de deux heures avec une leçon sur les hallebarde­s. D’autres exercices physiques et théoriques, des messes et autres activités complètent ce mois de formation inchangé par la réforme. Les recrues doivent aussi s’entraîner à reconnaîtr­e tous les membres de la Curie romaine, le gouverneme­nt de l’Eglise, qu’ils seront amenés à laisser entrer au Vatican. L’exercice semble intéresser autant que crisper Antonio Maria. Dès le 1er décembre, il commencera son service régulier. En poste à l’une des entrées, il devra distinguer les prélats et employés du Vatican des curieux.

«Nous mettons l’accent sur un entraîneme­nt régulier au tir et à la défense personnell­e» PHILIPPE MORARD, VICE-COMMANDANT DE LA GARDE SUISSE

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(GABRIELE PUTZU/KEYSTONE/TI-PRESS) Des aspirants à la Garde suisse s’entraînent au maniement des armes à feu sur la place d’armes d’Isone, au Tessin.

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