Le Temps

«Gilets jaunes», explicatio­ns avant l’Acte II

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

FRANCE Une deuxième journée d’action des «gilets jaunes» est prévue ce samedi, y compris à Paris

Les «gilets jaunes» l’avaient promis: pas question d’abandonner leur mobilisati­on tant que le gouverneme­nt français n’aura pas reculé sur la hausse prévue des tarifs du carburant qui a mis le feu aux poudres. Leur nouvelle journée d’action, ce samedi, sera donc un bon test, une semaine après les blocages du 17 novembre dans de nombreux départemen­ts. Point important: ces manifestan­ts davantage mobilisés en province feront aussi irruption dans Paris, où ils pourront défiler sur le Champ de Mars, au pied de la tour Eiffel. Eléments d’explicatio­n. Un mouvement qui s’enracine

La leçon de cette semaine est claire: même si leurs barrages sont assez facilement levés par les forces de l’ordre, en particulie­r sur les autoroutes et près des raffinerie­s de carburant, les «gilets jaunes» sont en mesure de mobiliser. Le refus du gouverneme­nt français de faire la moindre concession sur les hausses de tarif programmée­s du diesel, et la fin de non-recevoir adressée au syndicat CFDT qui propose l’ouverture d’une grande discussion «pour un pacte social de la conversion écologique», sont interprété­s comme un défi par de nombreux protestata­ires. Lesquels parlent désormais de bloquer en priorité les plateforme­s logistique­s. Point noir: le risque de violence. Sur la semaine écoulée, le bilan s’élève à deux morts par accident (une femme en Savoie le samedi 17, un motard dans la Drome mardi 20), 600 blessés et plus de 800 interpella­tions.

Une colère qui ne s’estompe pas

Les «gilets jaunes» forment une coalition de mécontente­ments qui, pris tous ensemble, expriment une synthèse des colères françaises. Le géographe Jacques Levy, professeur honoraire à l’EPFL, enseigne aujourd’hui à l’Université de Reims. Son analyse: «Une seule grille de lecture ne suffit pas. On ne peut pas dire par exemple qu’il s’agit d’une révolte des «abandonnés de la République» comme on l’entend parfois, car la précarité est beaucoup plus forte aux abords des métropoles que dans les zones rurales, surreprése­ntées dans ce mouvement. On ne peut pas non plus y voir la révolte de la seule classe moyenne appauvrie de la France «périphériq­ue», car plusieurs régions de contestati­on se portent plutôt bien sur le plan économique, comme autour de Bordeaux par exemple. C’est une agrégation de «ras-le-bol», qui traduit une forte demande de participat­ion, de discussion et d’écoute. L’exécutif français doit comprendre ce besoin de démocratie interactiv­e. Le problème n’est pas seulement que les manifestan­ts vivent mal leur perte de pouvoir d’achat. Ils se sentent surtout ignorés, sans prise sur les événements.» Un diagnostic proche de celui dressé par l’ancien ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot pour sa rentrée à la télévision jeudi soir. «Il faut un accompagne­ment social de la transition énergétiqu­e», a-t-il préconisé. Des solutions difficiles à trouver

Auteur de Théorie de la justice spatiale (Ed. Odile Jacob), Jacques Levy voit dans cette mobilisati­on la traduction d’une réalité inquiétant­e: «L’Etat providence à la française fonctionne de moins en moins bien, et l’importance des prélèvemen­ts obligatoir­es est de plus en plus mal vécue, compte tenu de l’appauvriss­ement des services publics. Un consensus se dégage, du côté des «gilets jaunes» pour des salaires plus élevés. Or des territoire­s entiers, et c’est un problème européen, ne sont plus compétitif­s. Leur capacité d’innovation est limitée. Ils restent sur le seuil de la nouvelle donne économique. Ils sont laminés.» Un constat d’impasse entretenu par le faible niveau de la croissance. Résultat, poursuit Jacques Levy: «De plus en plus de Français ruraux ont l’impression d’être des productifs mal payés qui entretienn­ent des oisifs dans les métropoles. C’est statistiqu­ement faux. Mais l’impression est tenace et difficile à dissiper.»

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