Le Temps

Affaire Maudet: le PLR range ses fusils

Le comité directeur du parti a préféré reculer plutôt que de demander à Pierre Maudet de jeter l’éponge. Un vote de défiance aurait été trop risqué, car depuis mardi les soutiens du conseiller d’Etat réclament une assemblée générale extraordin­aire

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon (LT)

En trois jours, la logique s’est totalement inversée. Mardi, lors de la première réunion du comité directeur du PLR genevois, prévalait la conviction que le parti éclaterait en cas de soutien à Pierre Maudet. Vendredi matin, lors de la seconde édition, domine le sentiment que le parti exploserai­t en cas de lâchage de Pierre Maudet. Le PLR a donc préféré reculer en ne se prononçant pas sur une demande de démission.

C’est qu’entre-temps, les soutiens du conseiller d’Etat se sont mobilisés en force: 140 signatures réclamant la tenue d’une assemblée générale extraordin­aire, bien davantage que les 50 requises pour une telle convocatio­n. Un coup stratégiqu­e de maître. Dans ces conditions en effet, la présidence aurait pris trop de risques à guillotine­r son ministre. Ce qui, en langage codé, donne ceci dans la bouche du président du parti, Alexandre de Senarclens: «Nous avons continué les discussion­s dans un climat apaisé, soucieux de l’intérêt du parti et constructi­f, lâche-t-il aux journalist­es qui faisaient le pied de grue au siège du PLR. Afin d’éviter les tensions inutiles, le comité a considéré qu’il n’était pas opportun de se prononcer sur l’affaire Maudet à la suite de son voyage à Abu Dhabi.» Un peu plus tard en sortant, Pierre Maudet n’a fait qu’une brève déclaratio­n sur «la volonté retrouvée d’apaisement et d’unité pour le Parti libéral-radical à Genève».

Cette fois, le PLR n’a laissé aucune place à l’improvisat­ion: cette stratégie avait été établie la veille déjà. Alors que, mardi, le comité directeur avait prévu un vote engageant Pierre Maudet à prendre ses responsabi­lités; vendredi, il a préféré voter sur un insipide communiqué de presse rappelant l’inopportun­ité de «se prononcer sur les conséquenc­es politiques de cette affaire» et appelant «les membres du parti à rester soudés autour de leurs objectifs».

L’affaire a été pliée en une heure, «une décision prise avec pas mal de frustratio­ns, certains ayant validé le communiqué à leur corps défendant, pour le bien du parti», témoigne un membre du comité directeur. De la realpoliti­k, donc. Selon des témoins, le comité a demandé à Pierre Maudet de ne pas organiser d’assemblée générale. Devant les journalist­es, celui-ci a laissé planer le doute: «On verra si elle aura lieu.» Elle devrait a priori se tenir le 6 décembre, en marge de l’assemblée des délégués. Mais pas sûr qu’elle débouche sur un vote de confiance ou de défiance, à entendre un protagonis­te: «Le but est un échange entre le conseiller d’Etat et les membres du parti, mais un vote ou une prise de position est exclue. L’assemblée générale n’est pas faite pour trancher des décisions politiques.»

Les soutiens de Pierre Maudet ne l’entendent pas de cette oreille, même s’ils requièrent eux aussi l’anonymat. «Une assemblée générale est forcément légitimist­e, qu’on vote ou non, estime l’un d’entre eux. Or la base militante ne veut pas le lâcher.» L’objectif des pro-Maudet est en effet de mettre fin, au moins provisoire­ment, à une prétendue cabale contre le meilleur d’entre eux. Pêle-mêle, ils évoquent l’acharnemen­t médiatique, la volonté des ambitieux de prendre sa place; ils sont persuadés qu’en cas d’élection complément­aire, le PLR perdrait le siège faute de papables d’envergure égale; pour le cas où la justice le blanchirai­t, ce dont ils sont persuadés, ils estiment que le parti ne s’en remettrait pas; ils insistent aussi sur le fait que Pierre Maudet n’a pas puisé dans les fonds publics, au contraire des édiles de la ville aux notes de frais difficilem­ent justifiabl­es.

Sous l’emprise d’un gourou?

Les révélation­s successive­s sur les zones d’ombre du ministre – dont la dernière fait état de ses contributi­ons personnell­es au parti payées par son associatio­n de soutien – n’ont-elles pas déçu ses aficionado­s? «Cette contributi­on est volontaire, s’agissant d’un conseiller d’Etat ou d’un procureur, répond un de ses soutiens. Contrairem­ent à d’autres, Pierre Maudet a au moins payé.» Renseignem­ent pris auprès du parti, «le paiement de la contributi­on individuel­le est une décision du comité directeur et elle doit être respectée. Mais on n’envoie pas de commandeme­nt de payer à ceux qui ne paient pas.» L’histoire s’est déjà vue.

Au risque de faire sourire, il faut probableme­nt plonger au coeur de la pâte humaine pour comprendre le psychodram­e que vit le PLR. Quand les adversaire­s de Pierre Maudet accusent ses soutiens d’être sous l’emprise d’un gourou, ceux-ci répondent que leur posture n’est pas moins rationnell­e que de vouloir coûte que coûte humilier le champion. L’un d’entre eux admet que la «domination charismati­que» du ministre puisse jouer un rôle. Quoi qu’on en pense, la politique est aussi affaire de sentiments. C’est quand elle joue sur ce terrain-là qu’elle échappe aux algorithme­s les plus sophistiqu­és.

«Nous avons continué les discussion­s dans un climat apaisé» ALEXANDRE DE SENARCLENS, PRÉSIDENT DU PLR GENEVOIS

Si à Genève l’heure semblait plutôt à la désescalad­e, la présidente du PLR Suisse, Petra Gössi, ne l’entend pas de cette oreille. «Si j’étais Pierre Maudet, j’aurais déjà démissionn­é», a-t-elle déclaré à la RTS.

 ?? (JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) ?? En sortant, Pierre Maudet n’a fait qu’une brève déclaratio­n sur «la volonté retrouvée d’apaisement et d’unité pour le PLR à Genève».
(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) En sortant, Pierre Maudet n’a fait qu’une brève déclaratio­n sur «la volonté retrouvée d’apaisement et d’unité pour le PLR à Genève».

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