Marcel Imsand et les femmes, ou le respect de l’instant
Disparu il y a exactement un an, Marcel Imsand avait un rapport privilégié avec les stars, comme en témoigne «Intime», un recueil de ses meilleures photos. Marie-José Imsand nous dit pourquoi
Juliette Gréco, Audrey Hepburn et Françoise Hardy. Barbara, surtout, dont il deviendra le photographe privilégié en Suisse romande. Et puis cette drôle d’amitié, presque un lien filial, avec le top model Cindy Crawford, qu’on découvre démaquillée sur un de ses clichés, bien avant que le trend «au naturel» fasse fureur parmi les stars. Marcel Imsand était proche de tous ses sujets, des paysans aux danseurs, des inconnus aux célébrités. Mais si ses portraits d’icônes féminines émeuvent particulièrement, c’est que le photographe disparu en novembre 2017 a su restituer à la fois leur mystère et leur simplicité. Une classe – lui parlait de grâce – qui imprègne l’intégralité d’Intime, un recueil de ses plus beaux clichés publié aux Editions Favre et verni ces jours.
BARBARA APRÈS UN CONCERT
«J’ai, avec les femmes, une approche affectueuse et non intéressée. Je crois que c’est ce qui m’a permis d’avoir avec elles ces amitiés exceptionnelles. Souvent, l’homme a besoin de draguer, ne serait-ce que pour se donner confiance. Je n’ai pas eu ce besoin.» Extraite de Confidences, série de dialogues entre Marcel Imsand et sa fille Marie-José, cette citation explique sans doute pourquoi les divas se livraient avec une telle confiance à l’objectif du photographe. «Mon père parlait très peu, écoutait beaucoup. Il était riche de nombreux secrets qu’il n’a jamais dévoilés. Et aussi, il ne prenait que deux, trois photos de ses sujets, comme s’il respectait trop ces artistes pour les mitrailler», confirme la cadette de l’artiste, au téléphone.
Beaucoup de douceur et d’émotion dans la voix de celle qui est devenue peintre et auteure quand elle évoque le travail de son père et son lien aux femmes. «Le cliché où Barbara se tient le visage, la tête penchée, est spécialement parlant de son approche», reprend Marie-José Imsand. «Il a rejoint la chanteuse dans sa loge après deux heures de concert. La grande dame brune est fatiguée, elle s’abandonne face à son miroir, encore à l’intérieur d’elle-même après l’intensité de ce qu’elle a donné et mon père, placé derrière elle, photographie son reflet dans la glace. Sans lui parler, ni lui demander de poser. Il ne la vole pas, il la comprend.»
LA VITALITÉ DE GRÉCO
Chez Audrey Hepburn, Marcel Imsand saluait «la féminité et l’intelligence». «Mon père était très soucieux des femmes et de leur indépendance – il a aimé notre mère sans faille jusqu’à sa disparition. Mais il leur trouvait trop de beauté et de générosité pour les suivre quand elles se masculinisaient
«J’avais de l’amour en moi et je l’ai mis dans mes photographies. Que les autres pensent que je suis un artiste n’a aucune importance»
ou se durcissaient. Pour lui, la pudeur faisait leur force.» Ce principe, «ne jamais se mettre en avant», que Marcel Imsand valorisait chez les femmes n’est pas très
#MeToo, mais, à sa décharge, l’artiste appliquait la même consigne à lui-même. Sur sa vocation: «Mes parents n’ont jamais compris pourquoi j’étais devenu photographe, moi non plus. Disons que j’avais de l’amour en moi et je l’ai mis dans mes photographies. Que les autres pensent que je suis un artiste n’a aucune importance.»
Retour aux femmes illustres qu’il a immortalisées avec son
MARCEL IMSAND
Leica. «En tant que mécanicien de précision, son premier métier, mon père connaissait si bien son appareil qu’il n’avait pas besoin de longs réglages.» Juliette Gréco, il l’a croquée à Paris, lors d’une promenade automnale. «Ils ont longé la Seine, se sont posés au bord de l’eau, puis mon père a saisi la vitalité de l’artiste en immortalisant cet instant.» On sourit. Parfois Marie-José semble inventer une fable au cliché. «C’est que ces photos sont en moi, explique la peintre. Quand j’étais enfant, avec ma soeur et mon frère, on séchait les développements devant la glaceuse pour aider. C’étaient des moments très forts. On était petits, mais on avait de grandes émotions. Notre père ne racontait jamais les circonstances d’une prise, comme si raconter une photo lui aurait enlevé de sa beauté.»
CINDY AU NATUREL
Alors vient le tour de Cindy Crawford, top model dans la grande époque des tops. A côté des Naomi, Carla et Claudia, étoiles des années 1980… La rencontre entre le mannequin et le photographe déjà sexagénaire fait tilt. La jeune Américaine fond devant la discrétion et la sensibilité de celui qui pouvait pleurer en écoutant un air d’opéra. De son côté, Marcel Imsand est bouleversé par «l’humanité et l’intelligence extraordinaire» qui se dégage de Cindy Crawford sans maquillage. «Or, dans les journaux, on ne veut pas la publier comme ça. Personne ne la connaît sous ce jour. La société de consommation le refuse», regrette le photographe, commentant un cliché de la top model au naturel.
Cindy, Juliette, Barbara et les autres. «Même quand il n’était pas seul face au sujet, mais immergé dans une horde de photographes, mon père adoptait un angle qui rendait sa photo spéciale. Il avait un talent pur, un sens de la transcendance.» Dans la femme qu’elle est aujourd’hui, Marie-José a beaucoup conservé de cette aura-là.