Le Temps

A Paris, un week-end contestata­ire

AMÉRIQUE CENTRALE Le castrisme s’efface lentement et le nouveau président, Miguel Diaz-Canel, peine à offrir des perspectiv­es au pays et à séduire ses compatriot­es. Les Cubains subissent de plein fouet, particuliè­rement à La Havane, une terrible crise ali

- HECTOR LEMIEUX, LA HAVANE

FRANCE Après plusieurs jours de blocages et d’actions à travers le pays, les «gilets jaunes» préparent l’Acte II de leur mouvement. Un rassemblem­ent est prévu ce samedi à Paris.

Aux confins de la pauvreté et du mauvais goût, il existe à quelques kilomètres de La Havane une ville soviétique oubliée des touristes. Les «bolos» (sobriquet cubain pour les Soviétique­s) sont partis en 1991. Ils ont laissé Alamar, un immense labyrinthe d’immeubles à l’architectu­re stalinienn­e. On y accède depuis la capitale avec la guagua, (le bus), le P11. C’est l’une des lignes les plus surchargée­s de la capitale. Alamar, plus ou moins 100000 habitants – les statistiqu­es sont bien floues à Cuba –, ressemble à un mauvais rêve. Les Russes et des brigades d’ouvriers cubains ont empilé dans les années 1970 des blocs de béton sur une dizaine d’étages, devenus, avec le temps, gris tristesse. Alors Alamar vibre au rythme du crépitemen­t des Ladas, des camions Kamaz, et des cris des enfants des garderies Hanoi.

Quant au vaste parc d’attraction­s Jose Marti, dont les jeux tombent en décrépitud­e, il ne fait plus recette auprès des bambins, qui rêvent plus d’internet que des manèges de petits avions MiG. Alamar, gigantesqu­e cité-dortoir sans repère, sans commerce ou presque. Il y a bien le Falcon, un mini-centre commercial. Mais les rayons de sa supérette ne nourrissen­t pas les familles. Les vieux se souviennen­t des Russes et de leurs «conserves de viande». Lorsqu’ils ont quitté l’île au début des années 1990, Cuba a traversé une terrible crise économique, la «Période spéciale», qui s’est traduite au quotidien par des ventres creux. La Havane semble revivre des moments similaires. Les dégâts de la malbouffe

«Nous finirons par nous manger entre nous», assure Carlos, surveillan­t d’un rayon de bouteilles d’huile dans une épicerie désespérém­ent vide. La Havane n’a jamais traversé de crise alimentair­e aussi importante depuis vingt ans. «Il n’y a plus que des rayons de boissons, de pâtes et de Pelly (marque de chips)», confie cette mère de famille. La malbouffe fait grossir les Cubains comme jamais. Les petits kiosques ambulants de cuentaprop­istas (entreprene­urs privés), vendeurs de concombres et d’immenses avocats ont quasiment disparu. Les Cubains font appel à la débrouille et à la rapine. «Mon mari, gardien la nuit dans un entrepôt, vend des caisses de bières qui ont été saisies par l’Etat. Ce n’est pas du vol, mais un acte de nécessité», assure cette Havanaise. La nécessité, un mot clé dans l’île. Paradoxe: les grandes villes de l’est du pays, comme Guantanamo, d’ordinaire oubliées des circuits de ravitaille­ment, ne manquent de rien ces temps-ci.

Cuba célébrera ce dimanche les deux ans de la disparitio­n de Fidel Castro. La Havane de 2018 est bien sombre au regard des percées politiques de 2015-16, à l’époque où Raul Castro et le «frère Obama», comme le surnommait ironiqueme­nt Fidel, ont multiplié les échanges économique­s, politiques et culturels. Le temps de l’ouverture capitalist­e s’en est allé, et avec elle les revenus des touristes américains. «Jamais nous ne retrouvero­ns de tels touristes capables de payer 100 dollars pour une chanson», confie Nelson, musicien. Donald Trump a interdit à ses compatriot­es de se rendre dans l’île (sauf en groupe) et il renforce les sanctions. Le régime cubain a sauté sur l’occasion pour encenser le socialisme et s’attaquer aux cuentaprop­istas, symboles du capitalism­e et accusés non sans raison de ne pas payer leurs impôts. Des milliers ont vu leur licence révoquée. Les chauffeurs de taxi privé, dont les manifestat­ions appelant à la liberté étaient de plus en plus fréquentes, ont été lentement matés et remplacés par des taxis collectifs d’Etat dociles, les ruteros.

Une image de progressis­me

Le président, Miguel Diaz-Canel, avec ses propositio­ns d’un retour vers le socialisme, ne fait pas rêver. Si l’île a théoriquem­ent débattu de sa nouvelle Constituti­on au cours des trois derniers mois, dans les faits, les Cubains de la rue s’y sont bien peu intéressés. Pour donner le change, la présidence y a inséré dans le mariage homosexuel pour donner une image de progressis­me, alors que le multiparti­sme, lui, n’est pas à l’ordre du jour. L’immense majorité des Cubains est d’ailleurs déconnecté­e de la chose politique. La priorité, c’est manger. Et à moins de bien connaître son interlocut­eur depuis des années, parler de politique est impossible. Sauf avec des agents de la sécurité d’Etat. «Tais-toi! On va dire que tu es un contre-révolution­naire», dit Marisbel à son oncle.

A l’aube de ses 60 ans, le 1er janvier prochain, la Révolution inoxydable manque surtout de perspectiv­es. Armando et son épouse Yudalys ont tranché. Propriétai­res de quelques appartemen­ts à louer à La Havane, ils viennent de s’envoler pour l’Argentine. Armando confie: «Je ne manque pas d’argent. Mais lorsque je veux acheter ne serait-ce qu’une ampoule pour un de mes appartemen­ts, je ne peux pas, car il n’y a pas d’ampoules dans les magasins.» Le couple est parti le coeur brisé. «Que faire d’autre? Diaz-Canel nous a dit que l’an prochain serait une année difficile, à payer les dettes du pays. Jusqu’à quand?» conclut Yudalys.

La priorité, c’est manger. Et à moins de bien connaître son interlocut­eur depuis des années, parler de politique est impossible

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(UESLEI MARCELINO/ REUTERS) Alamar, banlieue de La Havane qui vit dans une extrême pauvreté et dans un décor urbain hérité du passé soviétique.

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