LA SUISSE, AU JOUR LE JOUR
A partir de ses rencontres faites pour «Le Nouveau Quotidien» ou Plans-Fixes, Bertil Galland tisse un portrait captivant d’un pays au carrefour de l’Europe
Bertil Galland est journaliste au sens qu’il sait raconter les jours: au coeur du banal et de la répétition, il détecte le talent dans un regard, une voix. Il repère celles et ceux qui ont le courage, la générosité de penser et d’agir loin des étiquettes. Destins d’ici. Mémoires d’un journaliste sur la Suisse du XXe siècle vient ponctuer le grand ensemble, huit ouvrages en tout, des écrits du reporter (à 24 heures et au Nouveau Quotidien) publiés par Slatkine entre 2014 et aujourd’hui. Bertil Galland est journaliste en ce que face à un être, un événement, une région, un pays, il aime comprendre pourquoi, il aime comprendre comment. Destins d’ici: attentif aux vies, que ce soit celle d’un employé de cave à vin ou celle d’un président de la Confédération; marchant dans les paysages comme on tourne les pages d’un atlas, Bertil Galland dresse le portrait d’un pays, la Suisse, au long du XXe siècle. Brassant récits et rencontres, il tisse pour le lecteur un parcours clair et captivant dans ce qui apparaît comme la sève même des années, d’une époque, d’une communauté, ce pays en somme, lové au coeur de l’Europe.
En fil rouge de cette déambulation, les médias, moteurs puissants de changement. On découvre (ou redécouvre) les pionniers de la radio des années 1920 aux années 1950-60, de Radio-Lausanne et Radio-Genève, aux locaux de La Sallaz, alors encore un faubourg campagnard de Lausanne. Bertil Galland fait sentir combien une région, la Suisse romande, se mit soudain à prendre conscience d’elle-même. Par les émissions, l’humour, les chansons, les pièces de théâtre mises en ondes, une communauté linguistique prenait corps, par-delà les particularismes cantonaux. Auteur de plusieurs Plans-Fixes – ces portraits filmés de personnalités de Suisse romande –, Bertil Galland a longuement rencontré Benjamin Romieux, en 1987, figure de l’information et de l’émission Le miroir du temps. Ce journaliste au verbe superbe sera aussi le principal stratège du combat pour que les journalistes de Suisse romande gagnent enfin leur indépendance par rapport à l’Agence télégraphique suisse de Berne.
SAC DE NOEUDS ÉMOTIONNEL
Trente ans plus tard, Le Nouveau Quotidien, «journal de journalistes», fera entendre sa voix, impertinente, à la fois romande et européenne. De l’intérieur de la rédaction pilotée par Jacques Pilet et installée à Montelly, en bordure de Lausanne, et par les interviews qu’il a faite pour le journal violet, Bertil Galland retrace les relations compliquées de la Suisse à l’Europe, véritable «sac de noeuds» historique et émotionnel. En point d’orgue, évidemment, la campagne pour le vote du 6 décembre 1992 sur l’Espace économique européen (EEE).
Plusieurs interviews d’anthologie sont reproduites, datant d’avant ou d’après le «dimanche noir», comme celle de Franz Blankart, chef négociateur pour le traité avec l’EEE; celle avec Jean-Pascal Delamuraz sur les véritables volontés du Conseil fédéral en termes d’adhésion avec la Communauté européenne; celle, aussi, intitulée ici «Veillée d’armes entre deux historiens», entre l’ancien conseiller fédéral Georges-André Chevallaz et l’historien Jacob Bergier. Où Georges-André Chevallaz, qui appelait à voter non à l’EEE, insiste sur «l’esprit de résistance général à l’autorité» à l’oeuvre en Suisse, tout au long de son histoire: «Qu’est-ce que la démocratie directe sinon un comportement critique vis-à-vis du pouvoir?» lance-t-il à un moment donné. Très éclairante aussi, la conversation avec Oskar Reck, journaliste bâlois, qui explique en profondeur, le non alémanique. Grâce à la plume de Bertil Galland, portraitiste hors pair, Destins d’ici est un livre vibrant, de vies, de paysages, qui tente, humblement, au jour le jour, de comprendre ce que la Suisse a dans le coeur.