CONQUÊTES PRÉCOCES
Anne Herbauts et Beatrice Alemagna touchent à l’essence même de l’enfance. Leurs derniers albums témoignent de cette intelligence radieuse et de cette grâce
«Il va pleuvoir.» C’est tout ce qu’ils savent dire, derrière leur fenêtre, les grands hérissons. Si ceux-là semblent passifs, comme captifs de cette attente, Nour et Nils, les petits, ne veulent pas «que la pluie les enferme». Ils partent, remontent la rivière, subissent sa crue, et se hissent en haut de la colline. De là, ils envoient un message rassurant: «Tout va bien […]. On voit les montagnes au loin. Il a plu. Le même ruisseau court entre nous.»
Dans ce merveilleux alinéa final, les jeunes aventuriers entérinent les paroles de leurs aînés, mais dans un même mouvement s’en éloignent: les choses ont eu lieu, ils ont fait face, et à présent ils vont sûrement se risquer plus loin encore, plus haut, mais sans oublier qu’un «même ruisseau» les lie à leur famille.
Anne Herbauts célèbre l’autonomie sans la rupture, l’indépendance dans la pérennité. Nourris de l’histoire de Pierre et le loup, ses petits exigent des portes ouvertes et des loups qui rôdent, des dangers et des victoires.
Magie d’un album qui dit la merveilleuse aventure de vivre en conjuguant un texte d’une délicatesse rare, d’une malice joyeuse, avec des images où le ciel et l’eau se mêlent pour composer un monde où il fait bon, où il fait beau grandir.
C’est dans un registre plus loufoque que Beatrice Alemagna emmène son lecteur: Le fabuleux désastre d’Harold Snipperpott raconte la métamorphose de toute une famille. On ne s’amuse pas beaucoup chez les Snipperpott: les anniversaires, les fêtes sont bannis de la maisonnée, quant aux rires, aux câlins, aux bisous même, Harold peut les oublier!
PAGAILLE GÉNIALE
La veille de ses 7 ans, le garçonnet plonge dans une nostalgie telle que ses parents s’inquiètent, demandent de l’aide. Le lendemain, une foule d’invités se presse derrière la porte: ours, éléphants, crocodiles, pélicans vont semer la plus grande, la plus belle, la plus géniale des pagailles! Et transformer ce foyer morose en famille cinglée et aimante.
Deux années de recherches, de croquis ont été nécessaires pour arriver à faire entrer cette «humanité animale» dans les pages d’un album jubilatoire, qui célèbre l’amour et ses gestes, ses folies. Le trait de Beatrice Alemagna est envoûtant car c’est là, dans ses personnages de guingois et ses bêtes gauches, que nichent la complexité du monde et notre bonheur de lecteur.