Le Temps

MONTREUX, CAPITALE DU RIRE

- PAR JULIE RAMBAL @julie_rambal

Le 29e Montreux Comedy Festival s’ouvre mercredi prochain avec un grand gala orchestré par l’humoriste franco-ivoirienne Claudia Tagbo, et joué deux fois. Rencontre.

Claudia Tagbo sera la maîtresse de cérémonie du gala d'ouverture du 29e Montreux Comedy Festival, qui sera joué à deux reprises. Rencontre avec la nouvelle reine de l'humour, qui fait de l'altruisme une hygiène de vie

Mardi 20 novembre, dans une salle de danse discrète du XIXe arrondisse­ment parisien. Marie Guibourt observe les enchaîneme­nts de six chorégraph­es, tandis qu’une DJette repasse inlassable­ment la même bande-son. La metteuse en scène est en train d’apporter la touche finale à l’un des tableaux du gala d’ouverture du prochain Montreux Comedy Festival. Elle connaît bien la manifestat­ion, qu’elle a codirigée durant cinq ans, avant de devenir une scénograph­e prisée par la sphère humoristiq­ue. Elle connaît bien Claudia Tagbo, aussi: elles ont accouché ensemble de son dernier one woman show, Lucky, qui fait salle comble depuis un an.

Au fond de la pièce, l’intéressée enfile un costume étincelant, avant de rejoindre les danseurs. Les propositio­ns fusent. L’artiste trouve aussitôt la bonne gestuelle, la drôlerie innée. «Claudia est une formule 1 sur laquelle vous pouvez faire tous les ajustement­s. Elle est précise, instinctiv­e. La place du corps est prédominan­te chez elle, car c’est son premier langage.

«Chaque jour, chacun peut essayer de créer de beaux moments»

CLAUDIA TAGBO

Mais c’est aussi une comédienne avec une immense largeur de gamme, qui peut passer de l’absolue douceur à quelque chose de brutal, avec justesse et rapidité», loue Marie Guibourt. C’est la dernière répétition parisienne avant le déménageme­nt de la troupe à Montreux, à laquelle les deux créatrices nous ont gentiment proposé d’assister, moyennant le silence sur le contenu. «Ce n’est pas une cachotteri­e, mais nous travaillon­s sur cette soirée depuis janvier, parce que Claudia et moi avons le même syndrome de la bonne élève qui veut maîtriser chaque détail, et il serait dommage de déflorer les surprises, confie la metteuse en scène. Mais on peut dire que ce sera très visuel, avec 35 personnes sur le plateau, des artistes à l’humour très différent, de la magie, des hommages à la culture suisse, et des tenues qui empruntent autant aux plumes du Moulin Rouge qu’au costume traditionn­el vaudois.» Avec, en fil rouge, le thème de prédilecti­on de Claudia Tagbo: démontrer, sous les gags, que «nous sommes tous métis», nourris des cultures de chacun.

«Le métissage, ce sont aussi les belles rencontres que l’on peut faire quand on accepte de s’ouvrir aux autres», précise celle qui, dans

Lucky, moque les stéréotype­s liés à son statut de femme franco-ivoirienne. Mais aussi d’humoriste. Le public s’attendait à une entrée fracassant­e? Elle démarre en réci- tant sobrement Femme noire, poème de Léopold Sédar Senghor, cet «homme du monde» qui incarne selon elle «l’universali­sme». Mais il ne faut pas compter sur Claudia Tagbo pour donner de grandes leçons de vie en coulisse. Timide mais le sourire franc, même quand elle a le trac, la comédienne de 45 ans confie son malaise devant les interviews: «Je n’aime pas parler de moi. C’est une pudeur liée à mon éducation. On m’a toujours répété: «Tu n’es pas plus importante que d’autres.»

UN HUMOUR FÉROCE

Elle aurait pourtant de quoi pavoiser. Après cinq années à jouer

Crazy, son premier grand solo, elle remporte le même succès avec

Lucky. Elle figure aussi dans de nombreux films et séries, elle est «bancable et son talent pour le drame vient d’être salué après son interpréta­tion d’une femme exploitant la misère des migrants dans Le temps des égarés, une production d’Arte. Sans oublier les humoristes de renom qui l’ont accueillie dans leur bande ou encouragée, de Michel Boujenah à Jamel Debbouze.

La reconnaiss­ance reste sa marque de fabrique. Ainsi, après avoir vanné quelques spectateur­s dans Lucky, pour les besoins du rire, elle vient leur offrir des cadeaux empaquetés au moment des saluts. «C’est très Claudia, ça, sourit Marie Guibourt. Elle est généreuse, pleine de petites attentions, et ne veut jamais rire contre, mais ensemble.» Le parcours de la comédienne l’aurait-elle blindée contre toute folie des grandeurs?

Arrachée à sa bande de copines à 13 ans, «l’âge où les amitiés comptent le plus», elle quitte son Abidjan natal pour une petite ville de province française, aînée d’une fratrie de sept enfants dont elle raconte avec un humour féroce les joies, mais aussi les problèmes d’intendance, dans le très autobiogra­phique Lucky. A 18 ans, elle débarque à Paris pour faire une fac de théâtre, puis enchaîne les petits boulots, tout en cherchant les rôles. Sur certains castings, elle s’entend parfois dire qu’elle a plutôt «un physique de radio».

ÉNERGIE EXPLOSIVE

Elle s’accroche, décroche des pièces classiques, et tombe dans l’humour presque par hasard, toujours avec cette philosophi­e de rester ouverte aux rencontres, sans préjugé. La fusée est lancée. Mais l’épreuve du cancer du sein la foudroie, au début de la trentaine. Tandis qu’elle combat la maladie, elle continue de déployer son énergie explosive sur scène, pour tenir.

«J’ai pris de nombreuses gifles, avec ma maladie et celle de proches, et la bienveilla­nce reste mon arme, souffle-t-elle au sortir de cette journée de répétition­s. Chaque fois que c’est dur, j’essaie de mettre les angoisses de côté, pour un moment, en me disant: «Amuse-toi, c’est gratuit, et amuse celui qui, dans la salle, est peutêtre en train de vivre la même chose que toi.» Et aujourd’hui, j’ai enfin vu à quoi allait ressembler le gala. Et si je meurs tout à l’heure, je pourrai me dire que j’ai travaillé dur et que j’ai fait rire les danseurs. Chaque jour, chacun peut essayer de créer de beaux moments, pour ne rien regretter.»

Claudia Tagbo a beau affirmer qu’elle n’aime pas beaucoup parler parce qu’elle «n’a pas une culture générale de dingue», mais que ses parents lui ont «appris à ne pas en avoir honte et dire «je ne sais pas» quand c’est le cas», on pourrait écouter ses sages paroles durant des heures. Mais elle préfère balancer tout ce qu’elle a sur le coeur dans un grand message d’humour, aussi décapant que bienveilla­nt.

«Le grand gala d’ouverture de Claudia Tagbo», Montreux Comedy Festival, Auditorium Stravinski, mercredi 28 et jeudi 29 novembre à 20h30.

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(CLÉMENT PJ SCHNEIDER) Au cours du gala d’ouverture du 29e Montreux Comedy Festival, Claudia Tagbo développer­a son thème de prédilecti­on: démontrer que «nous sommes tous métis», nourris des cultures des autres.

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