La folle aventure d’un orchestre
Qui aurait pu imaginer la création d’un orchestre symphonique en période de Grande Guerre et de grippe espagnole? Qui aurait pu parier que ce projet fou dépasserait le centenaire? Qui aurait pu supposer que l’Orchestre de la Suisse romande (OSR), héritier du modeste comité des concerts d’abonnement de Genève, atteindrait une telle renommée et un niveau musical international tout au long de ses 100 ans d’existence? Ernest Ansermet y a cru. Il l’a fait. Le 30 novembre 1918, le chef suisse donnait au Victoria Hall de Genève le premier concert avec son OSR, affectueusement surnommé «le Romand» par les anciens. Aujourd’hui, la phalange fait partie des formations qui comptent.
Visionnaire éclairé, Ansermet était animé par une foi inébranlable et une intelligence hors normes: les mathématiques, la philosophie et l’écriture, dont les fameux Fondements de la musique
dans la conscience humaine. Le Vaudois, né en 1883 à Vevey, pouvait s’appuyer sur une expérience musicale particulièrement riche (le piano, la clarinette, les percussions, la composition…). Sa large culture et son réseau impressionnant de compositeurs (Debussy, Ravel, Duparc, Roussel, Bartók, Martin, Britten, Stravinsky, Honegger…), d’artistes (Diaghilev, Lifar, Cocteau, Picasso…) ou de célèbres musiciens et chefs de l’époque l’ont porté sur la crête d’une vague haute et longue. Ses successeurs y surfent encore avec une fierté qui a traversé le siècle.
Le «paternel» était de plus un habile manager. Il a su renforcer les finances et le rayonnement de l’OSR sur l’élargissement territorial, une politique discographique intensive, des créations incessantes, une activité radiophonique constante, des tournées régulières et des participations aux chorales, classes enfantines et autres événements populaires.
Au Japon, Ernest Ansermet n’était pas loin d’être considéré comme un dieu vivant. Il était adulé aux Etats-Unis. Sur ses terres, on le considérait comme un véritable père en musique. L’activité genevoise de l’OSR s’étendait bien sûr sur la région et le pays. Mais elle a essaimé jusqu’en Argentine, où le chef créa et dirigea pendant dix ans l’Orchestre philharmonique de Buenos Aires, qu’il retrouvait tous les hivers. Le musicien charismatique a fait traverser les continents et les époques à l’OSR.
Son biographe, François Hudry, ancien critique et animateur à la Radio romande, retrace pour nous le parcours de son idole. De son côté, l’administratrice générale, Magali Rousseau, brosse le portrait de l’OSR d’aujourd’hui et des défis qui l’attendent. Quant aux êtres qui incarnent cette formation de 112 musiciens, nous avons choisi d’extraire de cette grande famille deux personnes symboliques.
D’un côté, le doyen: Georges Richina fut clarinettiste solo pendant huit ans sous la baguette du fondateur et de quatre de ses successeurs. De l’autre, la dernière recrue: la jeune corniste Agnès Chopin vient d’entrer en poste, le 1er octobre dernier. Entre eux deux se tisse un lien sensible qui relie passé, présent et futur. L’OSR, en pleine mutation, renoue ainsi avec son histoire et aborde joyeusement son nouveau siècle sous la baguette de Jonathan Nott.