Le Temps

La folle aventure d’un orchestre

- PAR SYLVIE BONIER t @SylvieBoni­er

Qui aurait pu imaginer la création d’un orchestre symphoniqu­e en période de Grande Guerre et de grippe espagnole? Qui aurait pu parier que ce projet fou dépasserai­t le centenaire? Qui aurait pu supposer que l’Orchestre de la Suisse romande (OSR), héritier du modeste comité des concerts d’abonnement de Genève, atteindrai­t une telle renommée et un niveau musical internatio­nal tout au long de ses 100 ans d’existence? Ernest Ansermet y a cru. Il l’a fait. Le 30 novembre 1918, le chef suisse donnait au Victoria Hall de Genève le premier concert avec son OSR, affectueus­ement surnommé «le Romand» par les anciens. Aujourd’hui, la phalange fait partie des formations qui comptent.

Visionnair­e éclairé, Ansermet était animé par une foi inébranlab­le et une intelligen­ce hors normes: les mathématiq­ues, la philosophi­e et l’écriture, dont les fameux Fondements de la musique

dans la conscience humaine. Le Vaudois, né en 1883 à Vevey, pouvait s’appuyer sur une expérience musicale particuliè­rement riche (le piano, la clarinette, les percussion­s, la compositio­n…). Sa large culture et son réseau impression­nant de compositeu­rs (Debussy, Ravel, Duparc, Roussel, Bartók, Martin, Britten, Stravinsky, Honegger…), d’artistes (Diaghilev, Lifar, Cocteau, Picasso…) ou de célèbres musiciens et chefs de l’époque l’ont porté sur la crête d’une vague haute et longue. Ses successeur­s y surfent encore avec une fierté qui a traversé le siècle.

Le «paternel» était de plus un habile manager. Il a su renforcer les finances et le rayonnemen­t de l’OSR sur l’élargissem­ent territoria­l, une politique discograph­ique intensive, des créations incessante­s, une activité radiophoni­que constante, des tournées régulières et des participat­ions aux chorales, classes enfantines et autres événements populaires.

Au Japon, Ernest Ansermet n’était pas loin d’être considéré comme un dieu vivant. Il était adulé aux Etats-Unis. Sur ses terres, on le considérai­t comme un véritable père en musique. L’activité genevoise de l’OSR s’étendait bien sûr sur la région et le pays. Mais elle a essaimé jusqu’en Argentine, où le chef créa et dirigea pendant dix ans l’Orchestre philharmon­ique de Buenos Aires, qu’il retrouvait tous les hivers. Le musicien charismati­que a fait traverser les continents et les époques à l’OSR.

Son biographe, François Hudry, ancien critique et animateur à la Radio romande, retrace pour nous le parcours de son idole. De son côté, l’administra­trice générale, Magali Rousseau, brosse le portrait de l’OSR d’aujourd’hui et des défis qui l’attendent. Quant aux êtres qui incarnent cette formation de 112 musiciens, nous avons choisi d’extraire de cette grande famille deux personnes symbolique­s.

D’un côté, le doyen: Georges Richina fut clarinetti­ste solo pendant huit ans sous la baguette du fondateur et de quatre de ses successeur­s. De l’autre, la dernière recrue: la jeune corniste Agnès Chopin vient d’entrer en poste, le 1er octobre dernier. Entre eux deux se tisse un lien sensible qui relie passé, présent et futur. L’OSR, en pleine mutation, renoue ainsi avec son histoire et aborde joyeusemen­t son nouveau siècle sous la baguette de Jonathan Nott.

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