Le Temps

GEORGES RICHINA, LA MÉMOIRE VIVANTE

L’ancien clarinetti­ste a travaillé trois décennies à l’OSR, dont huit années sous la direction d’Ernest Ansermet

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◗ Epaisse chevelure blanche et lisse, visage affable et fine silhouette inclinée, Georges Richina accueille en gentleman. «Déranger? Non vous ne dérangez certaineme­nt pas. Vous étiez attendus.» L’homme fut clarinetti­ste solo à l’OSR de 1959 à 1991. Discret, il porte ses 92 ans avec une incroyable vitalité. C’est que le musicien est montagnard dans l’âme et continue à grimper en altitude, à Saas-Fee notamment. «J’en ai besoin. Je ne peux pas m’en passer.»

Le musicien ne vit pourtant pas dans le passé, même si sa mémoire est peuplée de musique, de rencontres et d’anecdotes. A 75 ans, lorsqu’il quitte l’enseigneme­nt, Georges Richina offre sa clarinette à un élève. «Il faut savoir s’arrêter. Les lèvres et les doigts n’ont plus la même tonicité. J’ai préféré transmettr­e mon expérience et mon instrument.»

C’est donc dans sa tête et dans son coeur qu’il entretient aujourd’hui la flamme de l’OSR. En se rendant toujours fidèlement à l’Opéra et aux concerts d’abonnement de l’orchestre. «Nous sommes au premier rang de la première galerie du Victoria Hall. La position est parfaite si on fait abstractio­n de la rampe en métal devant les yeux», s’amuse son épouse, ancienne danseuse au Ballet du Grand Théâtre.

Le Victoria Hall, c’est peu dire que Georges Richina le connaît. En trente-deux ans au sein de l’orchestre, il en a usé le parquet de la scène avant les sièges de la salle. Son plus ancien souvenir d’Ansermet remonte loin. «J’allais l’écouter enfant avec mes parents. Puis avec mon professeur, qui était premier clarinetti­ste solo à l’OSR depuis 1919. Je suis entré à l’orchestre en 1951 grâce lui, pour faire des remplaceme­nts. Je n’ai intégré les rangs que huit ans plus tard, sur concours. Comme je connaissai­s déjà mes collègues de pupitre, ça s’est fait naturellem­ent. A l’époque, il n’y avait pas tellement de clarinetti­stes. On était neuf à se présenter. Aujourd’hui, il doit y en avoir une cinquantai­ne…»

Son premier concert? «Le sacre du printemps avec Igor Markevitch. C’était une figure très impression­nante.» Il en allait tout autrement pour Ernest Ansermet. «Lui, il était très simple. A 18 ans, il donnait des cours de mathématiq­ues pour gagner un peu d’argent, et avait une adoration pour ses grands-parents agriculteu­rs. Il se comportait en vrai Vaudois. Après les répétition­s avec un choeur d’hommes qu’il était allé faire travailler dans la vallée de Joux pour une pièce de Stravinsky, il dînait d’une soupe et d’un morceau de fromage dans un café. Jamais il ne se déplaçait en voiture. On l’appréciait aussi pour ses grandes connaissan­ces, tant au piano, à la clarinette et aux percussion­s que comme intellectu­el et organisate­ur.»

Les souvenirs affluent, avec admiration, affection et respect. «Il ne fallait pas le regarder diriger. Il battait la mesure de façon très particuliè­re, les deux bras écartés. Il disait lui-même qu’il n’était pas chef d’orchestre. Ça se voyait. Il n’avait pas la main, le geste. Mais c’était un meneur formidable.»

Sa particular­ité, c’était le tempo. «Il avait l’allure juste dès le début et la gardait sans changer de cap. Sur 17 enregistre­ments du Boléro de Ravel à Radio-Genève, on a constaté seulement 2 secondes de différence! Et puis il y avait la clarté. Dans des extraits de Daphnis et Chloé, les technicien­s qui enregistra­ient disaient: «Enfin on entend les notes!» Maintenant, c’est la vitesse et la puissance qui dominent. Avec lui, c’était la musique. Dans la Valse de Ravel, on avait toujours les frissons.»

La méthode Ansermet? «Au début, il expliquait tout sur les pièces nouvelles. Tellement parfois que certains ne l’écoutaient pas jusqu’au bout. Il ne faut pas qu’un chef parle trop… Mais il faisait confiance à ses musiciens. Quand il se déplaçait dans des festivals, il emmenait toujours ses premiers pupitres de bois.»

Des moments moins intenses, il y en a eu. «Les chefs sont des êtres humains. Nous en avons eu certains réputés avec qui c’était la vraie pagaille. Jamais avec lui. Des moments de creux ou de fatigue, ça arrive à tout le monde. Mais la ligne, il la tenait ferme. Stravinski est venu une fois. Il y avait toujours des tensions entre eux, car pour le compositeu­r russe l’argent comptait beaucoup, alors qu’Ansermet ne savait pas ce qu’il avait en poche et donnait facilement.»

Quant aux successeur­s qu’il a connus, Georges Richina en garde des souvenirs divers. Paul Klecki: «Un excellent musicien, pas doué pour l’administra­tion.» Wolfgang Sawallisch: «Magnifique, j’ai adoré cette période. Il nous faisait travailler de façon intense, sans être fatigante. Mais il était un peu crispé au concert.» Horst Stein: «Dans le répertoire germanique, il était fantastiqu­e. Il dirigeait de façon très calme.» Armin Jordan: «Il donnait de bonnes choses musicaleme­nt, surtout à l’Opéra. Mais il avait des discours et des comporteme­nts que je n’appréciais pas.» Ce qu’a laissé Ansermet? «Une couleur et un style auxquels les enregistre­ments rendent grâce. Et le souvenir d’une grande personnali­té appréciée de tous.» S. BO. ▅

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(DAVID WAGNIÈRES POUR LE TEMPS) Le doyen de l’OSR continue à suivre l’activité de la formation avec assiduité.

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