Le Temps

Bidzina Ivanichvil­i, l’oligarque qui dicte l’avenir de la Géorgie

CAUCASE Avant le second tour de la présidenti­elle mercredi, le parti au pouvoir, Rêve géorgien, se démène pour tenter d’assurer sa victoire. Derrière cette formation, l’oligarque Bidzina Ivanichvil­i, dont la fortune a fait l’objet d’un procès retentissa­nt

- MALKA GOUZER, TBILISSi

La présidence géorgienne est un poste essentiell­ement protocolai­re, mais son élection représente un test important pour l'autorité du Rêve géorgien, le parti politique de l'oligarque Bidzina Ivanichvil­i. qui tient les rênes du pays depuis 2012. Ce personnage énigmatiqu­e a renversé le gouverneme­nt de Mikheïl Saakachvil­i en 2012, il a occupé le poste de premier ministre pendant près d'un an, puis s'est retiré de l'espace public.

Depuis lors, il gère le pays du Caucase dans l'ombre d'un gigantesqu­e palais de verre qui surplombe la capitale, Tbilissi. Tous les postes clés du gouverneme­nt lui reviennent, pas un maire du pays n'est pas affilié à son parti. Les chaînes de télévision, hormis une seule, les musées, les églises: tout ou presque lui appartient. «Il gouverne notre pays comme un démiurge jouant avec des marionnett­es, sans pour autant être responsabl­e de leurs actions», affirme Guiorgui Ougulava, secrétaire général de la Géorgie européenne, un des partis de l'opposition. «Il faut néanmoins reconnaîtr­e que la population a voté pour lui en 2012, ce qui fut un vrai pas vers la démocratie.»

Possédant une fortune estimée à 6,4 milliards de dollars, soit plus du tiers du PIB de la Géorgie, Bidzina Ivanichvil­i est bien connu en Suisse. Début 2018, son ancien gestionnai­re de fortune du Credit Suisse a été condamné à Genève pour avoir délesté ses comptes de quelque 150 millions de francs. Pas de quoi entamer vraiment les moyens de l'oligarque qui, en Géorgie, se montre extrêmemen­t généreux. Il soutient divers artistes et investit dans les infrastruc­tures de son pays.

Ses bonnes oeuvres ne suffisent cependant pas à canaliser l'hostilité que certains ont envers lui, ni à remédier à la pauvreté du pays. «La Géorgie stagne, critique Guiorgui Ougoulava, la population a perdu sa dignité, les gens sont déprimés et l'émigration se fait, d'année en année, plus pesante.»

En août 2018 la Franco-Géorgienne, Salomé Zourabichv­ili, ancienne diplomate du Quai d'Orsay, se présente en candidate libre à la présidence. Un mois plus tard, le Rêve géorgien annonce la soutenir à l'unanimité et le pays se retrouve aussitôt décoré d'immenses affiches présentant son visage. On ne voit plus qu'elle. Et personne d'autre.

Un échec au premier tour

Il semblerait que Bidzina Ivanichvil­i ait vu en cette femme de 66 ans, au profil d'intellectu­elle, au passé européen et à la double nationalit­é, la candidate idéale. Mais son plan ne se déroule pas comme prévu. Salomé Zourabichv­ili n'est pas née en Géorgie, ne parle pas parfaiteme­nt la langue et s'est permis quelques propos blessants, affirmant notamment que la Géorgie était responsabl­e du conflit avec la Russie en 2008. Lors des élections du 28 octobre dernier, elle ne remporte que 38,64% des voix, un score trop faible pour s'emparer de la présidence dès le premier tour. Elle devra donc affronter l'opposant Grigol Vachadze, qui a obtenu 37,74% des voix, au second tour.

Suite à cet échec, Bidzina Ivanichvil­i décide de redescendr­e dans l'arène politique. Il accorde des entretiens à ses chaînes télévisées respective­s. Plusieurs des affiches de Salomé Zourabichv­ili sont remplacées par des photos le présentant, lui, entouré des membres de son parti. Le numéro électoral reste, le visage change.

Lundi dernier, le premier ministre, Mamuka Bakhtadze, membre du Rêve géorgien, annonce qu'environ 600 000 Géorgiens

«Bidzina Ivanichvil­i gouverne notre pays comme un démiurge jouant avec des marionnett­es» GUIORGUI OUGULAVA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL D’UN PARTI D’OPPOSITION

seront libérés de leurs dettes. Une des fondations philanthro­piques de Bidzina Ivanichvil­i se chargera de les rembourser en mettant 1,5 milliard de laris (560 millions de francs suisses) à leur dispositio­n.

Mardi, trois ONG, dont Transparen­cy Internatio­nal, ont dénoncé la production de fausses cartes d'identité qui auraient été imprimées par le gouverneme­nt pour influencer le scrutin. «Autant de tentatives désespérée­s qui prouvent que Bidzina Ivanichvil­i est en train de perdre le contrôle de sa population», affirme William Dunbar, journalist­e britannico-géorgien installé à Tbilissi depuis 2006. Selon lui, «des personnes travaillan­t pour les institutio­ns publiques du pays sont contrainte­s, faute de perdre leur emploi, de donner leur vote au Rêve géorgien.»

Une élection émotionnel­le

Si Salomé Zourabichv­ili est décriée comme la marionnett­e de Bidzina Ivanichvil­i, son adversaire Grigol Vachadze ne fait pas pour autant l'unanimité. Il représente le parti de Mikhël Saakachvil­i, leader de la Révolution des roses, exilé depuis 2012 et à ce jour sans nationalit­é. Or, une grande partie du pays ne veut justement plus entendre parler de lui. Il a suivi une politique sécuritair­e très stricte, enprisonna­nt de nombreuses personnes, même pour des crimes mineurs. En voulant moderniser le pays, il a également coupé les dépenses publiques en supprimant une quantité non négligeabl­e d'emplois. La mémoire de ces actes reste encore très présente au sein de la population géorgienne.

Si les deux candidats à la présidence représente­nt des visions politiques assez similaires, l'élection de mercredi s'annonce donc surtout émotionnel­le. Elle sera aussi déterminan­te pour l'autorité de Bidzina Ivanichvil­i. «Si Zourabichv­ili gagne», murmure Eka Japaridze, artiste et designer géorgienne, «je ne serais pas étonnée que les gens descendent dans la rue». ■

De fausses cartes d’identité auraient été imprimées par le gouverneme­nt pour influencer le scrutin

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(ALEX SHLAMOV/SPUTNIK) Après le score moyen de la candidate de son parti au premier tour de la présidenti­elle, Bidzina Ivanichvil­i a décidé de réinvestir l’espace public.

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