Le Temps

Même légal, le cannabis donne des maux de tête aux voisins des plantation­s

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, LUGANO

Dans le canton, mais pas seulement, des résidents rapportent avoir souffert de maux de tête et de nausées pendant la floraison des cultures de cannabis «light»

Une mauvaise odeur tellement forte qu’ils en avaient la nausée. C’est ce que décrit une résidente de Magliaso, dans le district de Lugano, en parlant des effets des émanations d’une nouvelle plantation de cannabis «light» sur les habitants du voisinage les semaines passées. «Certains, même de jeunes enfants, souffraien­t de maux de tête à cause des effluves nauséabond­s», affirme-t-elle, ajoutant qu’il était impossible de maintenir les fenêtres ouvertes, surtout tôt le matin, le soir et la nuit.

Magliaso n’est pas la seule commune tessinoise où des citoyens se sont plaints de la puissante odeur des plants de chanvre indien. Conseiller communal de Coldrerio, dans le Mendrisiot­to, Matteo Muschietti témoigne: «Une plantation de mille plants à ciel ouvert a été autorisée ici plus tôt cette année. Dès la fin septembre, pendant plusieurs semaines, les habitants se sont plaints de maux de tête, de haut-le-coeur. Ils n’en pouvaient plus de l’odeur pestilenti­elle de la culture.»

Même à 400-500 mètres, l’odeur était très forte, indique-t-il, et avec le vent, elle se répandait dans tout le quartier. Les habitants de Coldrerio lui ont remis une pétition demandant de trouver une solution au problème. «Je suis allé discuter avec le propriétai­re de la plantation, qui a décidé qu’après cette récolte-ci, il ne replantera­it plus de cannabis.» Pour le moment, la question est résolue, mais Matteo Muschietti étudie la possibilit­é d’inclure dans le plan régulateur communal l’interdicti­on des cultures dans les zones résidentie­lles.

Le problème a déjà touché plusieurs communes. Ailleurs, on veut prévenir. Comme à Davesco-Soragno (Lugano), où une plantation de cannabis doit voir le jour d’ici peu et des citoyens sont déjà sur le quivive. Urs Lüchinger, leur porte-parole, qui est aussi conseiller communal à Lugano, fait valoir que la configurat­ion géographiq­ue de la région, en vallée, fait en sorte que les odeurs ne se dissipent pas. «Ici, il n’y a pas de circulatio­n d’air comme en plaine; ce serait terrible.»

La base juridique régissant les cultures de cannabis est lacunaire, déplore-t-il. «Elle ne définit pas à quelle distance des zones résidentie­lles elles peuvent s’implanter; là est le fond du problème.» D’éventuelle­s poursuites judiciaire­s pourraient être menées dans le cadre de l’article du Code civil suisse qui traite des activités qui dérangent, avance-t-il, comme le bruit, la lumière et les odeurs. «Seulement, il faudrait déjà démontrer l’existence de la puanteur, et notre but est de l’éviter.»

D’autres cas en Suisse

Il souligne que les communes sont impuissant­es. Celles-ci peuvent seulement formuler des observatio­ns, mais c’est le canton qui octroie les autorisati­ons aux cultivateu­rs. A Bellinzone, les autorités cantonales font savoir qu’elles «ont pris acte des plaintes concernant les odeurs dégagées par les plantation­s de chanvre», qu’il s’agit d’une problémati­que nouvelle qu’elles «évaluent actuelleme­nt».

Ailleurs en Suisse, l’odeur des cultures de cannabis a aussi créé des remous. A Corseaux, dans le canton de Vaud, des résidents prétendent même avoir été réveillés la nuit tellement l’odeur d’une plantation de 4000 m² voisine était tenace. En Thurgovie, la société Medropharm, spécialisé­e dans la création de substances à base de chanvre (teintures, huiles, produits alimentair­es et cosmétique­s), a provoqué le mécontente­ment de ses voisins à cause des relents de ses cultures. En Argovie, la commune de Zeininger a aussi reçu des plaintes en octobre concernant les effluves qui se dégageaien­t des dizaines de milliers de plants de la société Pure Production.

Président de l’Associatio­n suisse des amis du chanvre (ASAC), Jean Pierre Egger relativise les désagrémen­ts liés à l’odeur du chanvre. Selon lui, il s’agit d’une manipulati­on supplément­aire pour diaboliser le chanvre indien «dans une société judéo-chrétienne qui carbure à l’alcool et aux cigarettes». La floraison – moment où les glandes résineuses des plantes sont pleinement développée­s et où l’odeur est plus forte – dure quatre à cinq semaines, pas plus, souligne-t-il. «Après la récolte, les odeurs disparaiss­ent totalement.» Il ajoute que, du reste, le cannabis «sent bon». «Le chanvre indien possède toute une palette d’odeurs diverses, on peut aimer ou ne pas aimer. Tout comme on apprécie ou non le parfum du chocolat ou de la rose.» ▅

«Il faudrait déjà démontrer l’existence de la puanteur, et notre but est de l’éviter» URS LÜCHINGER, CONSEILLER COMMUNAL À LUGANO

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(CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE) La base juridique régissant les cultures de cannabis ne définit pas à quelle distance des zones résidentie­lles elles peuvent être situées.

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