Le Temps

La sagesse contre le simplisme

- SYLVAIN BESSON @SylvainBes­son

Le monde de 2018 est compliqué et les Suisses en sont bien conscients. Ils l’ont montré en balayant sèchement l’initiative de l’UDC qui voulait rendre au droit suisse sa primauté sur le droit internatio­nal. Noble ambition en apparence, mais qui ne cadre pas avec les réalités d’un ordre global où les centres de pouvoir et de légitimité juridique s’étagent en un millefeuil­le complexe.

Dans des domaines cruciaux comme la régulation de la finance, du commerce ou la gestion de la crise climatique, les décisions stratégiqu­es se prennent – quand elles se prennent – dans des instances qui regroupent des dizaines d’Etats. Parce qu’elle est petite et dépend de l’étranger pour sa survie économique, la Suisse a plus que d’autres intérêt à ce que cet écosystème fonctionne. On ne peut pas s’en extraire ou le détricoter en deux coups de cuillère à pot, même par un vote populaire. Les très pénibles négociatio­ns sur le Brexit le montrent. Et à un moment où le monde est secoué par le populisme d’un Donald Trump et l’irrésistib­le ascension de la Chine, ce tissu dense d’accords et d’institutio­ns internatio­nales, pour opaque et inaccessib­le qu’il soit, offre la garantie d’une certaine stabilité.

Cela n’enlève rien au problème de fond. La démocratie moderne a été conçue pour fonctionne­r dans un cadre limité, celui de l’Etat-nation, où les décisions sont censées se prendre de façon autonome. C’est de moins en moins le cas. L’aspiration du pouvoir vers l’échelon internatio­nal – celui de l’UE, de l’OCDE, du FMI et d’autres institutio­ns plus obscures, celui des géants de la tech ou des hyper-riches globalisés – menace de vider la souveraine­té populaire de sa substance. Peut-on encore décider quoi que ce soit dans son pays si tout se joue dans une superstruc­ture mondiale de plus en plus envahissan­te?

Rien n’est perdu cependant. L’Etat et même l’échelon local gardent d’innombrabl­es pouvoirs, notamment sur ce qui touche à la vie quotidienn­e de leurs habitants. Mais l’interactio­n entre décisions nationales et règles internatio­nales requiert des arbitrages permanents. L’initiative de l’UDC prétendait s’affranchir de ce lourd processus en décrétant unilatéral­ement la supériorit­é d’une norme sur l’autre. Sa solution simpliste visait surtout à faire appliquer à la lettre ses propres initiative­s, faisant de ce parti une sorte de législateu­r suprême. Les Suisses ont eu la sagesse de ne pas se laisser abuser.

L’interactio­n entre décisions nationales et règles internatio­nales requiert des arbitrages permanents

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