Le Temps

Pesticides: Berne doit jouer la transparen­ce

- ALEXANDRE AEBI UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL , LABORATOIR­E DE BIODIVERSI­TÉ DU SOL EDWARD MITCHELL UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL , LABORATOIR­E DE BIODIVERSI­TÉ DU SOL

Pour documenter l’impact des pesticides sur l’environnem­ent, la communauté scientifiq­ue demande des informatio­ns fiables quant à leur utilisatio­n sur un territoire donné. Consciente de cette responsabi­lité, l’Union européenne (UE) a adopté une directive allant dans ce sens dans son programme intitulé «Environnem­ent 2010, notre futur, notre choix». Elle souligne qu’il n’a jamais été aussi important de pouvoir compter sur des données précises et adéquates sur les usages des produits phytosanit­aires (PPh) pour être en mesure d’estimer le risque qu’ils représente­nt pour la santé humaine et pour l’environnem­ent ainsi que pour évaluer les progrès faits dans les plans de réduction de l’usage de ces produits à l’échelle du continent.

En suivant ce mouvement à la lettre, l’Office fédéral de l’agricultur­e (OFAG) a récemment publié une liste des pesticides les plus utilisés en Suisse. Selon l’OFAG, les informatio­ns ont pour objectif «de suivre l’évolution de leur utilisatio­n depuis 2008». Malheureus­ement, ces données sont incomplète­s et inutilisab­les, en particulie­r parce que les quantités utilisées sont présentées sous forme semi-quantitati­ve (par exemple < 1 tonne, entre 10 et 30 tonnes), ce qui manque de précision.

C’est ce que nous avons découvert en analysant les données fournies sur les néonicotin­oïdes, ces pesticides neurotoxiq­ues impliqués dans la disparitio­n des abeilles et d’autres insectes pollinisat­eurs. Nous voulions savoir si le moratoire adopté en 2013 en Suisse sur trois de ces substances (l’imidaclopr­ide, la clothianid­ine et le thiaméthox­ame) s’était effectivem­ent traduit par une réduction de leur utilisatio­n.

Le résultat est très décevant: seules les données sur le thiaméthox­ame permettent d’observer une diminution de son usage, mais il n’est pas possible de déterminer son ordre de grandeur. Rien de concluant ne peut être tiré des chiffres fournis pour les autres néonicotin­oïdes. Force est de constater que les chiffres de l’OFAG ne permettent pas de suivre précisémen­t l’évolution de l’usage des pesticides pour évaluer leur impact.

Non seulement la qualité des données fournies est mauvaise, mais, de plus, la façon dont elles sont présentées est pour le moins inquiétant­e. Le communiqué de presse présentant ces données discute l’évolution du tonnage de certaines molécules au cours du temps, sans aucune considérat­ion sur leur toxicité relative. A titre d’exemple, les quantités de glyphosate (un cancérigèn­e probable) et de kaolin (du talc utilisé contre la drosophile suzukii) utilisées sont comparées bien que leur toxicité varie énormément. Il est affligeant de constater que le paradigme «c’est la dose qui fait le poison» semble encore être de mise.

La biodiversi­té ne cesse de s’éroder et les quelque 2200 tonnes de PPh utilisées en Suisse contribuen­t à cette érosion. Plus de transparen­ce est donc nécessaire. Des données complètes sont indispensa­bles pour analyser précisémen­t les risques encourus par notre biodiversi­té et pour notre santé. Nous demandons donc à l’OFAG de publier les informatio­ns détaillées sur l’usage des pesticides en Suisse et nous pensons qu’il est du devoir de nos autorités d’exiger des informatio­ns précises sur les quantités écoulées en Suisse auprès des firmes qui les commercial­isent, conforméme­nt à l’article 62 de l’ordonnance fédérale sur les PPH. ▅

Non seulement la qualité des données fournies est mauvaise, mais, de plus, la façon dont elles sont présentées est pour le moins inquiétant­e

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