La transition numérique, nouvelle priorité de l’Allemagne
Le pays, moteur économique européen, prend du retard dans la transition numérique. Acteurs économiques, citoyens, tout le monde se saisit de ce dossier et le gouvernement fédéral a annoncé la semaine dernière une nouvelle stratégie en la matière Achim Berg ne mâche pas ses mots. «Les Allemands sont frustrés et veulent que les choses avancent! Il n’est plus temps de faire des rapports mais d’agir», estime cet homme élancé, président de l’association Bitkom, qui regroupe 2200 entreprises de l’économie numérique.
Cette semaine, lors d’un salon spécialisé à Berlin, ce lobbyiste a mis l’accent sur la transformation des services publics. «Nous en sommes encore au stade de l’administration papier, constate-t-il. Il nous faut encore faire la queue deux heures pour renouveler une carte d’identité, alors que cela se fait à distance dans beaucoup d’autres pays.»
Retard dans l’administration
En matière d’e-administration, l’Allemagne en est en effet à ses débuts, alors qu’au Danemark, par exemple, 95% des habitants utilisent une signature électronique. Bien sûr, certaines villes allemandes sont en avance en la matière, comme Darmstadt, qui a reçu le prix «Ville digitale» et multiplie les initiatives dans la santé, les écoles, le transport, etc.
Même si le pays est mieux placé que la Suisse en matière d’e-administration – d’après le classement mondial de la compétitivité digitale réalisé par l’Institut IMD de Lausanne –, les choses avancent toutefois lentement en Allemagne. La faute, entre autres, aux structures fédérales et à son mille-feuille administratif. Autre raison de ce retard, «la peur des réformes», selon Gerd Landsberg, directeur général de l’Association des villes et communes allemandes, et «la réticence des Allemands à voir leurs données personnelles utilisées par les administrations».
Le passage vers une cyberadministration est l’une des priorités du gouvernement d’Angela Merkel, qui a présenté, la semaine dernière, 111 mesures dans le cadre de sa nouvelle stratégie numérique. Pour Gerd Landsberg, cette volonté d’action de la part de Berlin est «une grande avancée», mais nécessite comme préalable «un accès généralisé des citoyens à un internet haut débit et à un réseau à large bande».
Oser le «digital first»
Or on en est encore loin. Selon les chiffres de la Commission européenne, 84% des foyers allemands avaient accès en 2017 à un internet d’un débit égal ou supérieur à 30 Mbits par seconde (contre 99% en Suisse), avec toutefois de fortes divergences régionales. Ce taux chute à 36,4% en zone rurale (93% en Suisse). En matière de fibre optique (supérieur à 100 Mbps), l’Allemagne fait figure de quasi-lanterne rouge en Europe, avec seulement 7,3% des foyers qui y ont accès, contre 29,5% en Suisse. «Si l’on veut développer les campagnes, il faut oser le digital first!», estime Achim Berg, président de Bitkom.
Conscient du problème, le gouvernement allemand s’est donné pour objectif de fournir un accès au haut débit (plus de 30 Mbps) à l’ensemble du territoire d’ici à 2025. Pour la fibre optique, la priorité est donnée aux hôpitaux, aux écoles et aux zones commerciales et industrielles. Pour Berg Landsberg, ce retard en termes d’infrastructure pénalise aussi les entreprises. «Il faut investir. Il en va de l’avenir de l’économie allemande», juge-t-il.
Du côté du secteur privé justement, le tableau est contrasté, avec une avance des grandes entreprises, mais des difficultés rencontrées par les PME et les PMI, qui font pourtant la force du tissu industriel allemand. Selon une étude de l’Ecole européenne de management et de technologie de Berlin (ESMT), 71% des grandes entreprises se disent satisfaites de leurs progrès en termes de transformation numérique, contre seulement 51% des PME. En matière d’industrie 4.0, les secteurs des machines-outils et de l’automobile font figure de leaders. Mais jusqu’à quand?
La chancelière Angela Merkel a fixé un objectif: elle souhaite que l’Allemagne «reste dans le groupe de tête au niveau international et devienne même leader» en termes d’industrie 4.0 et d’intelligence artificielle. Son gouvernement a ainsi annoncé la semaine dernière 3 milliards d’euros (3,4 milliards de francs) d’investissements d’ici à 2025 pour soutenir la recherche ainsi que la création de 100 chaires universitaires.
La Suisse en avance
Cela suffira-t-il? Achim Berg en doute. «Ces mesures sont un grand pas en avant, mais ces investissements sont une goutte d’eau par rapport aux besoins», regrette-t-il. La Chine a en effet annoncé vouloir investir 150 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle d’ici à 2030.
Dans cette course vers la transition numérique, la Suisse semble mieux armée que son voisin, à en croire le classement 2017 réalisé par l’IMD Business School de Lausanne. Sur 63 pays, la Confédération occupe la 5e place, loin devant l’Allemagne, qui se classe 18e. «La Suisse a de plus grandes dispositions envers ces transformations numériques», analyse José Caballero, chef économiste au Centre de compétitivité mondiale de l’IMD. «Que cela soit la société, le milieu entrepreneurial, le cadre réglementaire ou les institutions politiques, tout le monde est prêt. Sans compter que la Suisse attire de nombreux talents, locaux et étrangers, essentiels à ce genre de processus», estime l’économiste.