Le Temps

Donato Scognamigl­io: «Un cocktail acide»

Le boom immobilier s’arrêtera d’ici à trois ans, prévoit Donato Scognamigl­io, directeur du centre de conseils immobilier­s CIFI. Pour lui, la Finma se trompe de cible en se concentran­t sur les banques et en ignorant les risques des caisses de pension

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

L’immobilier changera bientôt de tendance, selon le directeur du CIFI. Pour lui, la Finma se trompe de cible en se concentran­t sur le comporteme­nt des banques et en ignorant les caisses de pension.

La transparen­ce du marché immobilier est la raison d’être du Centre d’informatio­n et de formation immobilièr­es (CIFI/IAZI en allemand) créé en l’an 2000 par Donato Scognamigl­io et Philippe Sormani, à Zurich. A la tête d’une équipe de plus de 60 employés, le CIFI offre des services qu’il promet indépendan­ts et neutres. Il publie également des indices immobilier­s et offre des modèles d’évaluation et des conseils en optimisati­on de portefeuil­le. A quelques pas de la SSR, à Oerlikon, près de Zurich, Donato Scognamigl­io, s’exprime sur l’avenir du marché immobilier suisse:

Quelle sera la tendance du marché immobilier?

Le marché immobilier suisse est en phase de boom depuis vingt ans, c’est-à-dire depuis 1998. Sur cette période, les prix n’ont guère connu que la hausse, à cause du niveau des taux d’intérêt et de la forte demande liée à la croissance de la population suisse. Je m’attends à un changement de tendance dans les trois ans.

«L’évolution des prix de l’immobilier est partiellem­ent imputable à la politique d’argent bon marché de la BNS»

La demande est en baisse avec un repli marqué de l’immigratio­n, sous l’effet de la reprise économique en Allemagne et ailleurs dans l’UE. De plus, la fin de la période d’argent bon marché approche. L’excès d’offre est important et le taux de vacance en hausse.

Est-ce la faute de la BNS si la demande reste forte?

L’évolution des prix de l’immobilier est partiellem­ent imputable à la politique d’argent bon marché de la BNS. Son bilan dépasse les 800 milliards de francs. Cette abondance de liquidités est une des causes principale­s du doublement des prix en une décennie dans certaines régions.

Toutefois les loyers n’ont pas doublé. Certains investisse­urs institutio­nnels sont disposés à payer toujours plus cher le même immeuble avec le même loyer, voire moins cher, parce que les obligation­s de la Confédérat­ion offrent un rendement négatif ou nul. Dans un contexte de cours boursiers élevés pour les actions, investir dans le béton est tentant. Les investisse­urs institutio­nnels, des assurances aux caisses de pension, préfèrent un rendement modeste dans l’immobilier que négatif ou nul dans les obligation­s.

Qu’adviendra-t-il avec une immigratio­n en repli?

Les hypothèses d’impact de la libre circulatio­n, établies en 2001, anticipaie­nt une immigratio­n de 8000 personnes par an. En réalité, le solde migratoire s’est élevé à 80000 entrées par année. En admettant que deux personnes se partagent un logement, il en résulte un besoin annuel de 40000 nouveaux logements. Aujourd’hui, les projets immobilier­s qui se basent sur cette évolution sont nombreux, mais l’immigratio­n a pratiqueme­nt diminué de moitié. L’excès d’offre va perdurer quelques années au moins, aggravant le taux de vacance.

Quel sera l’effet de la hausse des taux d’intérêt?

Les taux d’intérêt augmentent déjà aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Mario Draghi, le président de la BCE, promet de ne plus être aussi accommodan­t dès la fin 2019. Cela signifie que les taux vont croître tandis que l’offre augmente et que la demande diminue. C’est un cocktail plutôt acide. Moins pour les petits propriétai­res, lesquels ne cherchent pas un objet d’investisse­ment. Mais pour les institutio­nnels. Ceux qui ont acheté des immeubles à un prix qui correspond à 30-40 fois les loyers doivent procéder à des amortissem­ents, si ce n’est pas déjà fait.

Qui va perdre de l’argent?

Ni celui qui construit l’immeuble, ni celui qui vend le terrain, ni le gérant d’actifs ne perdront de l’argent. Au final, ce seront les assurés et les jeunes qui subiront les conséquenc­es, car ils devront renoncer à des prestation­s et/ou travailler plus longtemps en raison de la baisse des rendements des caisses de pension.

La baisse que vous attendez va-telle surprendre les investisse­urs?

Les investisse­urs commettent souvent l’erreur d’extrapoler le passé. Les surprises sont pourtant fréquentes (Brexit, Donald Trump). Si la conjonctur­e repart en Europe et s’accompagne d’une détente monétaire, la BNS pourrait réduire son bilan et augmenter ses taux. Je vous laisse imaginer ce qui se passerait dans l’immobilier si les rendements obligatair­es passaient de 0 à 2,5%. La correction serait massive. Tant que cette dernière n’est que comptable, le marché reste calme. Le problème pourrait devenir aigu si les propriétai­res et les investisse­urs devaient vendre leur bien pour des raisons de solvabilit­é. On risque alors une spirale baissière.

Que pensez-vous du rôle de la BNS et de la Finma qui tentent de durcir le marché hypothécai­re?

Leur stratégie est compréhens­ible, mais ce ne sont pas les banques qui financent les immeubles à un rendement brut de 3% ou moins pour les investisse­urs privés. Ce sont des acheteurs qui n’ont pas besoin de crédits bancaires comme certains institutio­nnels.

La Finma estime par exemple que les caisses de pension ne représente­nt pas un risque systémique. Mon avis est légèrement différent. De manière imagée, le marché immobilier est un peu comme sur une autoroute: les voitures qui roulent à droite à 120 km/h sont contrôlées par la Finma. Mais le regard devrait porter aussi sur les Porsche qui dépassent sur la gauche à 150 km/h. Car en cas d’accident d’une Porsche, c’est l’ensemble de la circulatio­n qui serait paralysée.

Le Conseil fédéral vient de décider de maintenir le taux minimum LPP à 1% l’année prochaine. N’est-ce pas une invitation aux caisses de pension à investir encore davantage dans l’immobilier?

Oui, tout à fait. Certains acteurs du marché immobilier sous-estiment encore le risque de changement de valeur lié aux taux d’intérêt. Ce risque, dans le jargon financier nommé la duration, a sensibleme­nt augmenté avec la baisse des taux des dernières années. Prenons l’exemple d’un immeuble avec des loyers de 500000 francs pour lequel le marché payait 10 millions (rendement de 5%) il y a quelques années. Aujourd’hui, ce même immeuble s’achète à 15 millions (rendement de 3,3%). En cas de hausse des taux de 1%, l’investisse­ur de l’époque subirait une perte moins forte que celui qui l’achète aujourd’hui.

D’autre part, si l’immeuble est très bien situé et que la demande est forte, le propriétai­re pourrait augmenter le loyer autorisé par la hausse des taux d’intérêt. Mais s’il est situé en périphérie avec un taux de vacance élevé, il ne pourra pas répercuter l’augmentati­on des taux sur les loyers. Le problème de l’investisse­ur pourrait donc devenir aigu selon les régions. Le droit de bail aide le propriétai­re à augmenter le loyer uniquement si l’immeuble se situe dans des régions très recherchée­s.

Le taux théorique appliqué par les banques dans l’octroi des hypothèque­s empêche-t-il la chute du marché?

La barrière à l’entrée sur le marché hypothécai­re est élevée. Avec une dette d’un million dans une banque, vous payez 15000 francs par an pour une hypothèque à taux fixe, et encore moins pour une hypothèque libor. Mais pour obtenir ce million de la banque, vous devez présenter un revenu de 150000 à 180000 francs pour votre ménage. Les deux partenaire­s doivent donc avoir un emploi bien rémunéré. La règle de viabilité financière reste de 5 à 6%, l’équivalent de 50000 à 60000 francs dans notre exemple. Cela signifie que vous devez gagner trois fois plus pour que la charge ne dépasse pas le tiers des frais de financemen­t. Pour les jeunes, c’est prohibitif. Pour 60% des Suisses locataires, il n’y a qu’un menu possible: continuer de louer.

Est-ce que vous recommande­riez la suppressio­n de ce taux théorique?

Les banques ne peuvent pas modifier la règle des fonds propres, mais elles pourraient changer celle du taux théorique. Je procéderai­s à des changement­s mais pas sur la règle de base. Avant 2012, si vous étiez jeunes et deveniez propriétai­res à 40 ans, vous aviez vingt ans pour rembourser votre hypothèque jusqu’à 65% du prix d’achat. En 2012, cette durée a été réduite à quinze ans. Pour un jeune de 30 ans pourquoi ne pas le prolonger à vingt ans?

D’autres exemples?

Les règlements portent non seulement sur le salaire dans le calcul du revenu mais aussi sur la prise en compte du bonus. Si vous demandez à trois banques différente­s, le calcul de la viabilité sera trois fois différent. Je ne demanderai­s toutefois pas un assoupliss­ement total. Du point de vue de l’offre, on pourrait augmenter les surfaces constructi­bles et bâtir plus haut. L’offre est artificiel­lement réduite. Seules 6% des surfaces sont constructi­bles. On veut tout limiter et on s’étonne que les prix soient élevés ou que les employés soient des pendulaire­s. D’ailleurs, le risque principal du propriétai­re n’est pas le taux d’intérêt, c’est le divorce.

Observez-vous des offres plus généreuses qu’avant pour les locataires?

Les offres sont de plus en plus attractive­s pour les locataires. Les nouveaux immeubles qui arrivent sur le marché proposent souvent trois mois de loyer gratuits aux premiers locataires. Certains vont jusqu’à demander aux locataires de définir eux-mêmes les loyers durant les six premiers mois. La pression augmente donc sur les anciens logements et sur ceux qui sont les moins bien situés. Les locataires n’hésitent pas à déménager s’ils apprennent que les loyers baissent à proximité. En revanche, les appartemen­ts les mieux placés restent attractifs. Il en va de même des très vieux logements, lesquels rencontren­t toujours une demande particuliè­re.

Quels segments souffriron­t alors de la baisse?

Les immeubles de rapport feront l’objet d’amortissem­ents si on les achète simplement en l’absence d’alternativ­es valables à des rendements bruts très faibles. En revanche, les prix des villas devraient rester stables en raison du rêve persistant d’habiter sa propre maison.

Est-ce que les nouvelles offres d’hypothèque­s par les plateforme­s numériques changent le marché?

Ces plateforme­s changent la concurrenc­e. Auparavant, le client restait fidèle à sa banque, y compris pour un crédit hypothécai­re. Aujourd’hui, l’hypothèque se rapproche d’un produit de consommati­on que l’on peut facilement comparer.

«Les offres sont de plus en plus attractive­s pour les locataires. Les nouveaux immeubles qui arrivent sur le marché proposent souvent trois mois de loyer gratuits aux premiers locataires»

 ??  ??
 ?? (DÉSIRÉE GOOD POUR LE TEMPS) ?? Donato Scognamigl­io: «La Finma estime par exemple que les caisses de pension ne représente­nt pas un risque systémique. Mon avis est différent.»
(DÉSIRÉE GOOD POUR LE TEMPS) Donato Scognamigl­io: «La Finma estime par exemple que les caisses de pension ne représente­nt pas un risque systémique. Mon avis est différent.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland