Le Temps

Violences faites aux femmes: un appel aux médias

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En Suisse en 2016, 532 femmes ont été violées et 736 ont subi des contrainte­s sexuelles. Ces chiffres sont révoltants. Pourtant, ils sont loin de représente­r la réalité. Les statistiqu­es policières sont dévalorisé­es, car les faits de violences sexistes sont gardés sous silence. Dénoncer une violence, c’est prendre le risque de devoir faire face à une justice brutale, peu ou pas sensibilis­ée à ces questions. C’est aussi prendre le risque de voir son histoire reprise et déformée dans les médias. Déformée, car les articles se retrouvent parfois empreints de mythes issus de la culture du viol. Les violences sont alors justifiées et les articles sont euxmêmes vecteurs de cette culture. Mais plus encore, ils sont pour la victime une nouvelle violence. Nous demandons ainsi un meilleur traitement médiatique des violences sexistes respectant les points suivants.

Parler pour sensibilis­er – Les médias ont une responsabi­lité dans la mise en lumière de l’aspect systémique des violences. Il est important de briser le tabou et de contribuer à sensibilis­er le public afin de prévenir ces abus.

Eviter les articles sensationn­alistes – Les violences sexistes sont des faits réels, symptômes d’une société patriarcal­e, qui relèvent de la justice. Ils ne sont pas une histoire à raconter pour susciter l’attention. Il est ainsi important de révéler les faits de manière objective, d’éviter les titres et manchettes racoleurs et les images à caractère violent.

Traiter les violences sexistes comme un fait de société – Les violences sexistes sont sociétales et structurel­les. Les statistiqu­es, qu’elles soient suisses ou mondiales, montrent l’ampleur de ce phénomène. Il est ainsi important de le révéler en utilisant des statistiqu­es, de solliciter les acteurs pouvant témoigner de cette réalité, mais aussi de parler des violences dans leur globalité et ne pas se focaliser uniquement sur les violences les plus visibles.

Ne pas culpabilis­er la victime – Les victimes de violences sexistes vivent souvent avec un sentiment de honte et de culpabilit­é. Aujourd’hui, les institutio­ns policières, juridiques et les médias ont tendance à renforcer ce sentiment en mettant l’accent sur certains éléments du contexte et de la vie de la personne victime. «Comment étiez-vous habillé?», «Aviez-vous bu, pris de la drogue?». Il faut éviter ces questions inappropri­ées qui retournent la suspicion vers la victime et ont pour effet de la culpabilis­er tout en minimisant le crime du véritable agresseur.

Utiliser un vocabulair­e clair et précis – Dans le cas des violences sexistes, le vocabulair­e de l’amour et de la séduction se mêle au vocabulair­e des violences. Ces termes participen­t à banaliser les violences et les minimisent. Une violence sexiste, dont la définition se base sur l’absence de consenteme­nt, n’a rien en commun avec une relation amoureuse ou un rapport de séduction mutuelleme­nt consentis. Il faut ainsi utiliser un vocabulair­e clair et précis en se basant sur les termes utilisés par les acteurs et actrices luttant contre les violences sexistes.

Enquêter et décrire l’escalade de la violence conjugale – Dans le cas de violence conjugale, c’est souvent les cas les plus violents d’homicides qui font la une, mais la violence débute avant. Il est important d’enquêter dans le respect de la vérité et de la sphère privée pour montrer l’escalade de la violence et ne pas uniquement mentionner un fait ponctuel.

Révéler la diversité des agresseurs – Les violences sexistes ne sont pas le fait d’hommes malades, débordés par leurs émotions. Elles sont le fait d’hommes ordinaires, de maris, de frères ou d’amis. Ils vivent et prennent part à un système, dont les violences ancrent leur domination et ne correspond­ent en rien à la démonstrat­ion d’une folie ou d’une pulsion. Il faut ainsi dresser le portrait réel de l’agresseur, ne pas accentuer ses émotions ou ses tares et signaler le pouvoir en jeu.

Dévoiler les mécanismes du harcèlemen­t sexuel – Le harcèlemen­t sexuel se définit comme un acte inopportun à caractère sexuel ou sexiste, qui peut être soit répété, soit ponctuel. Cependant, pour montrer la réalité du harcèlemen­t sexuel, il ne faut pas s’arrêter aux actes. L’ambiance au sein de l’entreprise joue un rôle essentiel. Plus encore, le harceleur prépare son action en mettant en place un processus calculé de domination qui accule la victime. Il faut ainsi révéler la responsabi­lité de l’entreprise et décrire les processus dans leur ensemble.

Respecter la sphère privée de la victime – Nul ne doit divulguer des faits relevant de l’intimité de la victime sans son consenteme­nt, y compris de la part de témoins. Ce droit revêt également l’importance pour la victime de se définir comme elle l’entend et que son choix soit respecté par les médias.

Bannir les stéréotype­s de genre – Les stéréotype­s imprègnent nos représenta­tions, favorisent les préjugés infondés et participen­t à discrimine­r et à diffuser la culture du viol, selon une hiérarchis­ation entre femme et homme. Il est ainsi judicieux d’avoir un regard global et de bannir les stéréotype­s genrés. ▅

Le manifeste de DécadréE est soutenu par 120 personnali­tés, dont:

Manon Schick, directrice d’Amnesty Suisse Yann Marguet, humoriste

L’Associatio­n Viol-Secours Laurence Froidevaux, journalist­e à la RTS Léonore Porchet, députée au Grand Conseil vaudois

Mathias Reynard, conseiller national

Liliane Maury Pasquier, conseillèr­e aux Etats et présidente de l’Assemblée parlementa­ire du Conseil de l’Europe

Michel Graf, directeur de Profa Noémie Schmidt, comédienne

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