Le Temps

L’UDC subit un échec historique

Les Suisses ont clairement rejeté, hier dimanche, l’initiative sur l’autodéterm­ination. Le texte des démocrates du centre n’a passé la rampe dans aucun canton Pour le parti, les moyens mis en oeuvre par les opposants au texte sont responsabl­es de sa défai

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

A l’extérieur, c’est le brouillard: en ce 25 novembre, le stratus plonge Berne dans une déprimante grisaille. Mais à l’intérieur du café Grosse Schanze qui surplombe la gare, c’est le soulagemen­t, et parfois même l’euphorie. La Suisse reste un pays ouvert au monde. Son peuple a plébiscité le multilatér­alisme en rejetant massivemen­t (66%) l’initiative dite «d’autodéterm­ination» de l’UDC, qui voulait affirmer la primauté du droit suisse face aux «juges étrangers». En obtenant un score à peine plus élevé que sa part électorale aux élections fédérales de 2015 (29,4%), le plus grand parti de Suisse fait penser à un boxeur sonné dans les cordes. «C’est décevant de prendre un tel coup sur la tronche après s’être battu comme des lions», concède le conseiller national Claudio Zanetti (UDC/ZH). «La Suisse, une banque centrale de confiance»

Il n’y a donc pas eu de suspense. A 13h30 déjà, le président de l’associatio­n faîtière Economiesu­isse, Heinz Karrer, tend la main à la présidente des Verts Regula Rytz. «Merci pour la coopératio­n», lui dit-il. Entre ces deux pôles qui sont rarement d’accord, une vaste alliance a vu très tôt le jour, soit avant même le dépôt des signatures à la Chanceller­ie, pour combattre l’initiative. Les milieux économique­s, tous les partis, sauf l’UDC, et la société civile ont uni leurs efforts pour parvenir à un résultat d’une ampleur inattendue.

La plus radieuse parmi les politicien­s est probableme­nt Regula Rytz: «C’est un résultat exceptionn­el compte tenu du fait que cette initiative, en détruisant le système suisse, était explosive. C’est un plébiscite pour le respect des traités internatio­naux», se réjouit-elle. De son côté, Heinz Karrer s’est déclaré agréableme­nt surpris par la netteté du résultat. «J’y vois un important signal adressé à nos partenaire­s étrangers», souligne le patron des patrons. Celui-ci, qui rentre de Vienne, raconte qu’aussi bien le chancelier Sebastian Kurz que le président Alexander van der Bellen l’ont interpellé au sujet de cette votation. Pour ne pas parler d’un ministre indonésien, qui lui a affirmé voilà un an: «La Suisse est une banque centrale de confiance.» C’est dire si la fiabilité de la Suisse était en jeu!

La victoire de la société civile

L’ampleur du score s’explique par l’engagement d’une société civile qui ne veut pas, selon le mot de Flavia Kleiner, que «la Suisse devienne un musée en plein air». L’égérie du mouvement «Opération Libero», créé en 2014 après l’approbatio­n de l’initiative de l’UDC «Contre l’immigratio­n de masse», est plus optimiste que jamais: «Je pense que ce 25 novembre marque la fin des initiative­s de l’UDC dont personne ne parvient à mesurer les véritables conséquenc­es», estimet-elle. A l’occasion de ce vote, la société civile s’est encore renforcée. En septembre dernier, un nouveau mouvement de citoyens est né: «Courage civil», qui s’est montré très actif sur Facebook. Lui aussi se bat pour une Suisse ouverte, mais il dit couvrir une palette plus large de la population. «Nous rassemblon­s des membres de trois génération­s de 20 à 70 ans, alors qu’Opération Libero est plus jeune», relève l’un de ses initiateur­s, Mark Balsiger.

Reste désormais à savoir si la grande perdante du jour, à savoir l’UDC, va souffrir à terme de cette défaite. Le chef du groupe du Parti socialiste suisse, Roger Nordmann, en est persuadé: «Les Suisses sont fatigués de l’UDC et de sa politique des faux clivages entre le peuple et les institutio­ns, entre la Suisse et l’étranger, entre la démocratie et les droits fondamenta­ux», a-t-il tweeté. De son côté, le conseiller national Christian Wasserfall­en (PLR/BE), qui adore les métaphores sportives en raison de sa passion pour le club de hockey du SC Berne, s’est montré beaucoup plus réservé. «Nous n’avons gagné que le premier tiers-temps. Mais le match n’est pas terminé, car il reste beaucoup d’autres batailles à livrer», a-t-il relativisé.

Pacte pour les migrations et relations avec l’UE

Ces autres batailles, ce sont le Pacte de l’ONU pour les migrations, l’initiative «de limitation» de l’UDC qui a pour but de résilier l’accord de

«Nous n’avons gagné que le premier tiers-temps. Mais le match n’est pas terminé, car il reste beaucoup d’autres batailles à livrer» CHRISTIAN WASSERFALL­EN, CONSEILLER NATIONAL (PLR/BE)

libre circulatio­n des personnes avec l’Union européenne, ainsi que l’accord institutio­nnel que réclame cette même union à la Suisse depuis dix ans.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il sera difficile de réaliser la même large alliance que celle de ce 25 novembre. Car si ce week-end, le peuple a bien montré que ce n’est pas cette vague initiative qui allait «sauver la démocratie directe», comme l’affirmait l’UDC, il risque d’être plus divisé sur de futurs enjeux beaucoup plus concrets. «Je suis opposé au Pacte pour les migrations», a par exemple précisé Christian Wasserfall­en.

Quant à l’accord institutio­nnel avec l’UE, il est cliniqueme­nt mort à en croire plusieurs journaux dominicaux, ce qui désole le coprésiden­t du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes) François Cherix. «Le Conseil fédéral serait bien inspiré de ne plus trembler devant l’UDC et d’abandonner ses tactiques de repli nationalis­te qui déconsidèr­ent la Suisse», souhaite-t-il.

Interrogée en conférence de presse, la cheffe de Justice et Police, Simonetta Sommaruga, a observé un silence embarrassé. En matière de politique européenne, le gouverneme­nt nage en plein brouillard, bien à l’image du temps de ce dimanche.

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 ?? (GIAN EHRENZELLE­R/KEYSTONE) ?? A gauche, la liesse des opposants: Flavia Kleiner d’Opération Libero, la chanteuse et militante Andrea Huber, la présidente des Verts, Regula Rytz (PETER SCHNEIDER/KEYSTONE). A droite: le conseiller national Thomas Matter, directeur de la campagne de l’UDC, dans le «stamm» du jour à Winterthou­r.
(GIAN EHRENZELLE­R/KEYSTONE) A gauche, la liesse des opposants: Flavia Kleiner d’Opération Libero, la chanteuse et militante Andrea Huber, la présidente des Verts, Regula Rytz (PETER SCHNEIDER/KEYSTONE). A droite: le conseiller national Thomas Matter, directeur de la campagne de l’UDC, dans le «stamm» du jour à Winterthou­r.
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