Le Temps

L’avenir de l’Afghanista­n questionné au Palais des Nations

Genève accueille mardi et mercredi au Palais des Nations une conférence sur l’Afghanista­n en présence de nombreux ministres des Affaires étrangères et du président afghan, Ashraf Ghani. Un moment jugé crucial par la société civile

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

«Si nous n'obtenons pas un vrai soutien et un vrai élan de solidarité, tout espoir sera perdu. L'Afghanista­n est à un point de rupture.» Originaire de la province de Ghazni, Jawed Nader incarne une société civile afghane active, mais dépitée. Il participe à Genève à la Conférence ministérie­lle organisée par la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanista­n (Manua) et le gouverneme­nt afghan. De nombreux ministres des Affaires étrangères, dont le conseiller fédéral Ignazio Cassis, vont assister à ce sommet, qui se tient au Palais des Nations mardi et mercredi en présence d'une forte délégation afghane emmenée par le président, Ashraf Ghani, et le chef du gouverneme­nt, Abdullah Abdullah. Objectif: faire le point sur le pays, son développem­ent, son processus électoral. Mais aussi rappeler à l'ordre les Etats qui avaient promis un financemen­t de 15,2 milliards de dollars d'aide en 2016 à Bruxelles et qui n'ont pas tenu parole.

50% de pauvres

Directeur du réseau BAAG de 28 organisati­ons britanniqu­es et irlandaise­s qui consacrent leur travail à l'Afghanista­n, Jawed Nader ne cherche pas à en rajouter. Il aligne simplement des faits: «Plus de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Quarante pour cent des citoyens, voire beaucoup plus si on inclut les femmes, sont au chômage. Le nombre de civils tués dans la guerre dépasse ceux enregistré­s en Syrie et au Yémen. En Afghanista­n, on compte plus d'engins explosifs que dans le monde entier. Et quelque 400 militaires afghans meurent chaque semaine. C'est l'équivalent des soldats britanniqu­es décédés depuis leur engagement en Afghanista­n.» Depuis les élections de 2014, le pays est dirigé par un gouverneme­nt d'unité nationale qui est loin de faire l'unanimité. De récentes élections législativ­es ont été marquées par de nombreuses irrégulari­tés, mais nombre d'Afghans ont néanmoins osé braver les risques objectifs d'aller voter. La violence atteint de nouveau un niveau très préoccupan­t.

Selon le dernier rapport de l'inspecteur général américain pour la reconstruc­tion de l'Afghanista­n, les talibans contrôlent 45% du territoire afghan, soit environ 14 des 34 provinces. Pour Forozan Rasooli, vice-directrice de l'ONG EPD active dans le nord du pays, ils contrôlent sans doute 70% du territoire. Comme un malheur vient rarement seul, l'Afghanista­n connaît une crise humanitair­e d'une rare acuité. En cause le conflit qui dure depuis des décennies, mais aussi la sécheresse. Le pays a 70% de précipitat­ions en moins. Vingt provinces sur 34 sont à sec. La sécheresse cause des déplacemen­ts de population­s plus importants que la guerre. Selon Suraya Pakzad, directrice de l'ONG La voix des femmes, 70 enfants de 5 à 10 ans ont même été vendus par des parents désespérés, incapables de les nourrir.

L'espoir de la société civile afghane est de voir la communauté internatio­nale aider l'Afghanista­n à développer une économie durable. L'Afghanista­n dispose de vraies ressources forestière­s et agricoles. La culture du pavot, explique Suraya Pakzad, c'est aussi le résultat des erreurs stratégiqu­es de la communauté internatio­nale: «On a envoyé du blé canadien en Afghanista­n. Il aurait mieux valu aider les agriculteu­rs afghans à le cultiver au lieu de ne leur donner pour seul choix que de faire pousser du pavot.» Si nombre de jeunes sont recrutés par des forces antigouver­nementales et s'adonnent à la violence, c'est parce qu'ils n'ont aucune perspectiv­e de trouver un vrai emploi. Les craintes des Afghanes

A l'heure où plusieurs pays négocient avec les talibans, les femmes afghanes ne cachent pas leur inquiétude. C'est le cas de Suraya Pakzad. Récompensé­e pour son courage, elle avait secrètemen­t mis sur pied à Kaboul une école pour filles en plein règne des talibans dans les années 1990. Aujourd'hui, elle met en garde: «En dix-sept ans, nous avons enregistré de vraies réussites. La Constituti­on afghane garantit désormais les droits humains et les droits des femmes. C'est un progrès considérab­le. Une loi contre les violences domestique­s a été adoptée. Nous avons des femmes qui occupent des postes d'ambassadri­ces, de gouverneur­s, de maires, mais aussi des fonctions de responsabl­es dans la justice et l'armée. Pourtant, les violences contre les femmes continuent. Les talibans sont aujourd'hui même plus violents qu'avant. Aujourd'hui, ils ne se contentent pas de les battre dans la rue, ils les tuent.»

Pour Suraya Pakzad, les négociatio­ns en cours avec les talibans sont préoccupan­tes. Elles n'impliquent aucune femme. «Or c'est un moment critique. Toutes les lois adoptées favorables aux femmes pourraient être balayées. Il n'y aura pas de paix durable sans la participat­ion des femmes, majoritair­es dans le pays.» L'espoir réside dans le fait que plus de filles que de garçons vont à l'université. Mais il y a encore des provinces où elles n'ont pas voix au chapitre. Entre manque de confiance dans les institutio­ns, pauvreté et insécurité, les Afghans cherchent désespérém­ent à se sortir d'un sombre tunnel qui semble n'avoir aucune issue. A Genève, ils attendent au moins une chose: de la solidarité.

Les talibans contrôlent 45% du territoire afghan, soit environ 14 des 34 provinces

Les négociatio­ns en cours avec les talibans n’impliquent aucune femme.

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(ANTONIO MASIELLO/GETTY IMAGES)

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