Bernardo Bertolucci, dernier tango
Le cinéaste italien est décédé à l’âge de 77 ans. Marxiste hanté par Eros et Thanatos, il a créé une oeuvre passionnante et inégale, qui explore les travers de la nature humaine sur fond de bouleversements historiques. Du «Dernier Tango à Paris» à «Innoce
Marxiste hanté par la mort et le sexe, réalisateur scandaleux du «Dernier Tango à Paris» et de superproductions comme «1900», Bernardo Bertolucci est décédé à l’âge de 77 ans
Un Américain veuf (Marlon Brando, 48 ans) et une libertine française (Maria Schneider, 20 ans) se retrouvent dans un appartement parisien décati pour s’adonner corps et âme à la fornication. Ça se passait comme ça, quatre ans après 1968.
Eros et Thanatos mènent un pas de deux sulfureux dans Dernier Tango à Paris. Marlon Brando, comédien masochiste, y casse son image (il montre son cul au jury d’un concours de tango), sa jeune partenaire y brise sa vie. Sur le tournage, Maria Schneider a été abusée par le réalisateur et la star américaine. Ces agissements tardivement révélés tendent aujourd’hui à discréditer le film. Si le machisme qui l’anime est effectivement daté, l’oeuvre reste subversive – les amants refusant d’échanger leurs prénoms mais poussant des cris de bête pendant l’accouplement.
A l’époque, le film fait scandale. La scène dite «du beurre» affole les plus hautes autorités morales, jusqu’au Vatican. Bernardo Bertolucci est déchu de ses droits civiques, le film est interdit aux moins de 20 ans en Valais. Il y a quelques années, il a été projeté sur la Piazza Grande de Locarno. Il y avait des familles sur les balcons et les brames d’extase résonnaient jusqu’au fond des Centovalli, o tempora, o mores… Engagement et hédonisme
Ce brûlot ne doit pas occulter le reste de l’oeuvre, forte, passionnante, irritante, inégale. Né en 1941, fils de poète, assistant de Pasolini sur Accatone, Bernardo Bertolucci s’impose sur la scène cinématographique avec Prima della rivoluzione (1964), qui analyse les affres d’un jeune intellectuel tiraillé entre lutte des classes et aspiration à la vie bourgeoise, un dilemme que le cinéaste doit bien connaître, lui qui oscille entre engagement politique et hédonisme.
La stratégie de l’araignée enquête sur un complot, et Le conformiste (avec Jean-Louis Trintignant) décortique le désir de normalité qui mène au fascisme. Avec 1900 (Novecento), le cinéaste réunit Robert De Niro et Gérard Depardieu dans une superproduction américaine narrant l’histoire du communisme italien et de la société rurale au début du XXe siècle. L’insuccès de cette fresque déstabilise son auteur.
Fait au feu du marxisme, Bertolucci tâte de la psychanalyse dans La luna, romance trouble sur la relation incestueuse d’une mère et de son fils, puis, se détournant du matérialisme dialectique, part chercher l’inspiration dans le désert avec Un thé au Sahara (dérive létale d’un couple dans les dunes du temps immobile), puis en Extrême-Orient avec Le dernier empereur (le crépuscule de l’Empire chinois) et Little Buddha (le bouddhisme tibétain expliqué aux enfants américains). Cette trilogie ripolinée ne laissera pas grande trace dans l’histoire du 7e art.
La suite est pire, avec oeuvres tardives s’avachissant dans une forme de mélancolie libidineuse comme Stealing Beauty, dont l’enjeu est le dépucelage d’une jeune Américaine en Toscane, ou Innocents – The Dreamers, qui rejoue Mai 68 sur le mode crépusculaire. Mandalas de sable
Bernardo Bertolucci est mort à Rome, dans ce pays qui l’avait excommunié, qu’il avait fui et finalement retrouvé. En 1993, quand on lui demandait s’il croyait à la réincarnation, il répondait: «Je vois la réincarnation tibétaine comme la métaphore de cette révolte fondamentale: nous ne pouvons accepter notre finitude.» Il avait ajouté: «Je pense que les idées et les oeuvres peuvent aussi rester. Pas longtemps, parce que les films ne durent pas. Les films sont nos mandalas de sable, les symboles de l’impermanence.»
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