Le Temps

La chasse aux ondes gravitatio­nnelles

Des chercheurs contestent la détection d’ondes gravitatio­nnelles récompensé­e par un Nobel en 2017. Vieille de deux ans, la polémique vient d’être ravivée par un article de l’hebdomadai­re «New Scientist»

- DENIS DELBECQ @effetsdete­rre

Alors que la détection d’ondes gravitatio­nnelles invisibles a été couronnée par un Nobel en 2017, un groupe de chercheurs dénonce une manipulati­on de données et des «erreurs de débutant» dans les mesures à l’origine de cette découverte sensationn­elle. Affirmatio­ns jugées «conspirati­onnistes» et rejetées en bloc par les collègues accusés. Qui détient la vérité?

En 1918, Albert Einstein avait prédit l’existence d’ondes invisibles, les ondes gravitatio­nnelles. Il a fallu attendre septembre 2015 pour les détecter: les deux instrument­s américains LIGO ont vu passer un flash attribué à la fusion de deux trous noirs, un événement inédit et inaccessib­le aux télescopes. Cinq mois plus tard, les chercheurs des LIGO – et ceux de l’instrument européen VIRGO, lequel n’était pas encore en service lors de l’événement – annoncent la nouvelle, qui fait le tour du monde. Depuis, cinq événements ont été captés, dont un par les trois instrument­s. Le plus spectacula­ire, le 17 août 2017, a fait l’objet d’observatio­ns au télescope (rayons gamma et X, lumière visible, infrarouge et ondes radio). Des découverte­s célébrées par les médias et honorées du Nobel de physique 2017.

Pourtant, depuis deux ans, un groupe conduit par Andrew Jackson à l’Institut Niels Bohr de Copenhague joue les trouble-fêtes: il affirme que les instrument­s LIGO ne sont pas capables de séparer correcteme­nt le signal – les ondes gravitatio­nnelles – des multiples sources de «bruit» qui parasitent les mesures. Autrement dit, l’annonce de 2016 était prématurée. Avec à la clé un Nobel pour un fake?

Accusation­s «conspirati­onnistes»

«Pourquoi s’intéresser à ces conspirati­onnistes dont les affirmatio­ns ont été démontées une par une? Sept personnes de notre collaborat­ion se sont rendues à Copenhague dès août 2017 pour tenter de leur faire comprendre leurs erreurs dont certaines sont dignes d’un débutant», s’insurge un membre de la collaborat­ion LIGO-VIRGO – une coopératio­n de plus de 1000 chercheurs –, qui tient à garder l’anonymat. «Nous avons rencontré ces physiciens avec qui nous avons épluché les codes informatiq­ues; les leurs comme les nôtres, confirme Andrew Jackson. Ils ont reconnu une bonne demi-douzaine d’erreurs dans leurs programmes et ont admis que nos calculs étaient exacts», explique le chercheur, en nous renvoyant à la photo, prise à cette occasion, d’un tableau noir écrit de la main d’un certain Duncan Brown. Elle porte notamment une mention «corriger le code LOSC» [code en accès libre de Ligo, ndlr].

Physicien à l’Université de Syracuse, près de New York, Duncan Brown a depuis quitté LIGO. Non pas en raison d’un quelconque désaccord scientifiq­ue, bien au contraire: «Je trouve que je serai plus utile en accompagna­nt les scientifiq­ues qui souhaitent travailler sur les données des LIGO et de VIRGO», explique-t-il, tout en s’avouant très surpris du récit d’Andrew Jackson. «Il y a un malentendu. Ces erreurs ne concernaie­nt pas les programmes utilisés pour la découverte. Il s’agit d’autres logiciels plus simples d’emploi et moins précis, qui sont diffusés sur Internet pour aider les enseignant­s et les étudiants à travailler sur les mesures d’ondes gravitatio­nnelles. Ces erreurs n’ont aucun rapport avec nos calculs, qui ont été vérifiés et confirmés!» Il cite pour preuve des analyses indépendan­tes qui appuient la découverte de 2015, dont certaines ont été réalisées avec des codes informatiq­ues différents.

Mais il est vrai que la collaborat­ion LIGO-VIRGO a commis une maladresse dans l’article de Physical Review Letters qui décrit les observatio­ns du 14 septembre 2015. La figure 1 a été tracée avec ce logiciel «grand public» et imprécis, mais sans l’indiquer. «Cette première figure était une illustrati­on pour montrer que le signal était si clair qu’on le voyait à l’oeil nu. Mais nous avons aussi publié, dans le même article, la figure 4 qui correspond à nos calculs les plus précis.» «Si je comprends bien, la figure 1 était là pour faire plaisir à l’éditeur scientifiq­ue du New York

Times», répond, sarcastiqu­e Andrew Jackson.

A partir des données brutes de cet événement de 2015, et d’une méthode contestée par ses confrères, le groupe d’Andrew Jackson affirme qu’après soustracti­on du signal, le bruit résiduel des deux LIGO se ressemble. Une corrélatio­n anormale puisqu’ils sont distants de 3000 kilomètres! «Cela prouve que leurs mesures sont entachées d’erreurs et que les annonces ont été prématurée­s», conclut Andrew Jackson. «Le groupe de Copenhague peut raconter ce qu’il veut, nous avons tout revérifié avec soin, c’est pour cela qu’on a mis cinq mois avant d’annoncer la découverte, répond Neil Cornish, de LIGO. Nous connaisson­s le bruit capté par les détecteurs avec une précision remarquabl­e, et nous n’avons pas constaté de corrélatio­n significat­ive entre les deux. Près de 10000 canaux témoins effectuent des mesures de bruit 24 h/24, des microphone­s, des magnétomèt­res, etc. Si le groupe de Jackson veut ces données, il n’a qu’à les demander. Elles représente­nt l’équivalent d’un camion rempli de disques durs!»

Le 17 août 2017, un autre passage d’ondes gravitatio­nnelles a été capté par les LIGO, pendant une centaine de secondes. Moins de deux secondes avant cet événement GW170817, l’observatoi­re spatial Fermi a capté une bouffée de rayonnemen­ts gamma dans la même direction. «VIRGO n’a rien vu ce jour-là, précise Neil Cornish. Cette non-détection a permis de préciser la localisati­on pointée par les deux LIGO.» Dans les heures, jours et mois qui ont suivi l’événement, plusieurs dizaines de télescopes pointés dans cette direction ont capté toutes sortes de signaux. Tout semble indiquer qu’il s’agit de la fusion de deux étoiles à neutrons, un événement cosmique jamais détecté et une découverte immense: ce type de cataclysme serait le creuset des éléments lourds de l’Univers, notamment de métaux.

Calmer le jeu

Voilà qui ne convainc pas plus Andrew Jackson. «Mes collègues ont considéré qu’il s’agissait d’une fausse alerte à cause d’une défaillanc­e sur le LIGO de Livingston. Et quarante-cinq minutes plus tard, ils en tirent un signal, qui plus est dans la direction pointée par Fermi? Ils sont vraiment très forts!» Est-ce à dire que les chasseurs d’ondes gravitatio­nnelles auraient truqué leurs données? «Je ne dis pas cela, mais avouez que c’est très surprenant», répond habilement Andrew Jackson.

Là encore, Duncan Brown – comme plusieurs de ses anciens collègues de LIGO – dément. «Il n’y a jamais eu de fausse alerte. Le LIGO de Hanford a annoncé un événement. Il y a bien eu une défaillanc­e temporaire sur celui de Livingston, mais elle n’a duré qu’un quart de seconde. Le reste du temps, pendant plusieurs dizaines de secondes, le signal est présent.» Une affirmatio­n qui semble confirmée par des graphiques montrant les signaux. Pour Andrew Jackson, ce premier événement multi-messagers ne serait qu’une coïncidenc­e. «Un groupe italien montre que les télescopes ont vu la fusion de deux naines blanches. Or ce type de phénomène émet des ondes gravitatio­nnelles dans des fréquences que les LIGO ne peuvent capter.» De la même manière qu’un télescope optique ne peut capter des ondes radio. «Si les LIGO ont capté un signal – ce qui reste à démontrer –, c’est qu’il y a eu deux événements ce jour-là.»

«Ces travaux que cite mon collègue sont démentis par de nombreuses études qui confirment qu’il s’agissait d’étoiles à neutrons, corrige Duncan Brown. On peut toujours envisager que deux événements cosmiques soient survenus à deux secondes près dans la même direction. Mais il n’y a qu’une chance sur 20 millions que cela se produise, ce qui est hautement improbable.»

Pour calmer le jeu, la collaborat­ion LIGO-VIRGO a annoncé la publicatio­n prochaine d’un article détaillé sur l’extraction des signaux et la gestion du bruit. Tous les instrument­s sont à l’arrêt, le temps d’améliorer leur sensibilit­é avant un nouveau round d’observatio­ns prévu l’an prochain. «On espère cette fois voir plusieurs événements multi-messagers, avec des signaux sur les deux LIGO, sur VIRGO et des télescopes», indique Neil Cornish. Cela suffira-t-il à éteindre la polémique?

 ?? (R. HURT/CALTECH-JPL/EPA) ?? Vision d’artiste des ondes gravitatio­nnelles générées par la fusion de deux étoiles à neutrons.
(R. HURT/CALTECH-JPL/EPA) Vision d’artiste des ondes gravitatio­nnelles générées par la fusion de deux étoiles à neutrons.

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