Un accord cliniquement mort
Alors que le Conseil fédéral doit trancher ce vendredi, les augures ne sont pas favorables pour l’accord-cadre avec l’UE. L’UDC et le PS s’y opposent, tandis que le PLR et le PDC n’en approuvent que le principe
C’est la semaine de vérité pour la politique européenne de la Suisse. Cette fois, le Conseil fédéral ne peut plus repousser l’échéance. Lors de sa séance de vendredi prochain, il devra se prononcer sur un accord institutionnel que lui réclame depuis dix ans l’Union européenne, qui veut régler la question des litiges de la voie bilatérale. La Commission européenne attend cette décision avec impatience, elle qui doit reconduire ou non l’équivalence boursière qu’elle n’a accordée à la Suisse que pour un an en décembre dernier.
Pour les partisans de l’ouverture, la votation de ce week-end sur les «juges étrangers», qu’ils ont largement gagnée, aurait dû enlever une épine du pied au Conseil fédéral. Mais le Brexit a compliqué les choses. A l’heure de régler les modalités du divorce avec la Grande-Bretagne, l’UE a serré les rangs et durci sa position envers la Suisse, craignant de créer un précédent.
Lignes rouges pas respectées
Dès lors, le projet d’accord soumis au Conseil fédéral est loin de correspondre aux voeux des négociateurs suisses, notamment du dernier d’entre eux, Roberto Balzaretti, nommé secrétaire d’Etat aux Affaires européennes en février dernier. Voici cinq ans, le Conseil fédéral avait fixé des lignes rouges dont certaines ne sont pour l’instant pas respectées, surtout en ce qui concerne l’accord sur la libre circulation des personnes.
Les principales pierres d’achoppement concernent les mesures d’accompagnement que le parlement a prises pour protéger les salaires suisses, qui sont souvent deux à trois fois plus élevés qu’en Europe. L’UE est certes, pour la première fois, d’accord d’en reconnaître le maintien, mais en les affaiblissant sensiblement. Ainsi, la règle des huit jours, qui oblige les entreprises européennes à annoncer préalablement leurs travailleurs détachés, serait réduite à quatre jours. De plus, Bruxelles souhaite que les cautions dont doivent s’acquitter ces mêmes entreprises – pour couvrir une éventuelle amende si elles enfreignaient les conditions de travail locales – ne concernent plus que les sociétés déjà sanctionnées. Enfin, l’UE ne veut plus accepter de contrôles que dans les secteurs à risque élevé de dumping salarial. Un Conseil fédéral divisé
Egalement liée à la libre circulation des personnes, la directive européenne sur la citoyenneté constitue une autre pomme de discorde. Le Conseil fédéral a toujours refusé d’envisager de la reprendre, car celle-ci accorderait certains droits à l’aide sociale aux citoyens européens. La Suisse aurait souhaité que l’UE mentionne qu’elle est exemptée de sa reprise. Or, dans le projet d’accord soumis au Conseil fédéral, il n’en est pas fait mention. Une lacune aux yeux de plusieurs juristes helvétiques, qui craignent que l’UE ne porte d’emblée le cas au tribunal arbitral mis sur pied par les deux parties.
Le gouvernement est si divisé sur cet épineux dossier qu’il a refusé toute question à son sujet ce dimanche, malgré son éclatante victoire sur l’initiative contre les «juges étrangers» de l’UDC. Le chef des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, peut compter sur l’appui de Johann Schneider-Ammann et de Doris Leuthard pour aller de l’avant. Mais les deux autres partis gouvernementaux, l’UDC et le PS, ne veulent pas d’un tel accord.
L’UDC, parce qu’elle s’est toujours opposée par principe à un tel accord, qu’elle assimile à un «contrat colonial». «Cet accord n’est qu’une feuille de vigne qui cache la volonté d’imposer à la Suisse une reprise automatique de son droit», note l’ancien chef de groupe Adrian Amstutz.
Le credo européen des Vert’libéraux
Quand au PS, il s’est cabré lorsque les deux ministres PLR Johann Schneider-Ammann et Ignazio Cassis ont décidé de franchir la ligne rouge que constituaient les mesures d’accompagnement. «Il est impossible de garantir le niveau actuel des salaires suisses si l’on cède aux exigences de l’UE», déclare le conseiller national et président du syndicat Travail. Suisse Adrian Wüthrich. «Un tel accord n’aurait aucune chance, au parlement déjà», assure-t-il.
Dans ces conditions, l’accord sera cliniquement mort avant même d’être soumis au peuple. Car dans les partis du centre droit, l’embarras est aussi de mise. Aussi bien le PDC que le PLR s’en tiennent à des déclarations d’intention. «Nous voulons un accord, mais pas à tout prix», note Doris Fiala (PLR/ZH). «Il faut une solution pour préserver les intérêts de la place économique», ajoute la présidente de la Commission de politique extérieure du Conseil national, Elisabeth Schneider-Schneiter (PLR/BL).
En fait, les Vert’libéraux sont la seule formation à considérer que le projet d’accord dans sa teneur actuelle est «acceptable», selon leur cheffe de groupe, Tiana Moser. «La Suisse a déjà obtenu beaucoup de concessions, notamment un tribunal arbitral où elle est représentée. Il ne faut pas oublier tout ce qu’apportera cet accord: à court terme, l’équivalence boursière et la participation des chercheurs suisses aux programmes européens, et à long terme la stabilisation de la voie bilatérale.»
▅