Le Temps

Politique européenne de la Suisse: un conte de Noël…

- FRANÇOIS NORDMANN

Enfin nous y voilà. Le Conseil fédéral va se prononcer sous peu sur le projet d’accord institutio­nnel avec l’Union européenne.

Ce texte a été négocié au niveau «technique» après que le gouverneme­nt eut refusé d'assouplir les «lignes rouges» qu'il avait fixées en 2013. Sur le plan politique, c'était donc l'échec. Il ne restait plus aux «technicien­s», c'est-à-dire aux négociateu­rs, qu'à prendre sur eux la responsabi­lité de dessiner les contours d'un possible accord. Il fallait pour cela penser en dehors du cadre, explorer l'au-delà des interdits, déplacer un tant soit peu les lignes (rouges) et revenir avec un texte de compromis. Les «technicien­s» ont sans doute agi avec l'aval plus ou moins tacite de leur hiérarchie et en imposant un strict black-out sur l'avancée de leurs travaux.

Le plus étonnant est que l’UE, qui avait constaté mi-octobre l’absence de volonté politique de son partenaire suisse, ait accepté de jouer le jeu.

Elle semble avoir fait plusieurs concession­s, que l'on sache, par exemple en entrant dans la logique des mesures d'accompagne­ment et en atténuant la portée de ses revendicat­ions sur les aides d'Etat ou sur l'extension des droits des citoyens européens immigrés en Suisse. Par là elle a fait montre d'une réelle volonté d'aboutir à un accord, ce qui avait déjà frappé les observateu­rs tout au long de la négociatio­n, et particuliè­rement au cours de l'année 2018.

Le vin est tiré, maintenant il faut le boire. Le Conseil fédéral ne se sent pas engagé par un document qui surgit sur sa table sans refléter toutes ses vues.

Pourtant il doit trancher et mettre fin à l'exercice d'une manière ou d'une autre… L'UE applique à la Suisse la méthode utilisée dans les négociatio­ns du Brexit avec le Royaume-Uni: l'accord obtenu par les hauts fonctionna­ires n'est plus négociable, il est à prendre ou à laisser. Le ministre des Affaires étrangères témoigne d'un zèle subit pour défendre le projet et évoquer les conséquenc­es d'un rejet. Jusqu'alors il n'était pas si engagé: si ça passe tant mieux, si ça casse tant pis. Mais cette volte-face survient vraisembla­blement trop tard pour impression­ner ses collègues: que ne s'est-il déclaré plus tôt? Que ne s'est-il exprimé auparavant sur les risques qu'entraînera­it l'absence d'un accord? Le secrétaire d'Etat Balzaretti avait parlé dès la fin du mois de juillet des dommages matériels que nous aurions à subir en l'absence d'un accord. Aujourd'hui, le conseiller fédéral Cassis est désavoué à l'avance par la direction de son parti, tout comme l'était son prédécesse­ur… Cela n'incitera guère ses collègues à le suivre. Ils sont plus enclins à camper sur leurs positions partisanes – les voix des ministres socialiste­s et UDC convergera­ient pour refuser l'accord, qui ne recueiller­ait que les suffrages des libéraux-radicaux et démocrates-chrétiens.

Il existe pourtant, issu de la politique-fiction, un scénario miracle qui permettrai­t au Conseil fédéral de franchir l’obstacle malgré lui.

Certains des technicien­s sont obsédés par le souvenir du 18 mai 1992 – le jour où le Conseil fédéral a décidé par quatre voix à trois d'entamer des pourparler­s d'adhésion avec l'UE. Les partis traditionn­els étaient divisés, trois pour, trois contre. C'est l'UDC, celle du monde d'avant, qui a fourni le vote décisif en la personne d'Adolf Ogi… Et si cette opération pouvait être répétée? L'accord sur l'équivalenc­e boursière dépend de l'accord institutio­nnel. Ce pourrait être le joker inattendu, qui amènerait le chef du Départemen­t fédéral des Finances à revêtir ses habits d'homme d'Etat et à sauter le pas pour sauver l'accès des actions suisses aux bourses européenne­s… Sans doute cette projection s'apparente plus au conte de Noël qu'à la realpoliti­k. Même les négociateu­rs les plus féroces ont le droit de rêver. La décision qui est agendée au 30 novembre serait alors reportée au 7 décembre, soit au surlendema­in des élections au Conseil fédéral et à la présidence de la Confédérat­ion, qui devrait échoir à notre homme…

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