Le Temps

Jonathan Brossard, patron précoce

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Propulsé à 28 ans à la tête de Fischer Connectors, le juriste de formation a dû faire ses preuves dans un milieu technique exigeant. C’est sur ses épaules que repose aujourd’hui la transition de son entreprise vers le statut de multinatio­nale

tIl y a des instants où tout se précipite, de ceux où l’on se retrouve à devoir prendre une décision qui pourrait changer le cours d’une vie. Pour Jonathan Brossard, ça remonte à deux ans, quand un matin de septembre 2016, il s’est retrouvé propulsé à la tête d’une entreprise de 400 collaborat­eurs. «A ce moment-là, je me suis demandé ce qui m’arrivait», confie celui qui n’avait que 28 ans à l’époque où il a été nommé directeur général de Fischer Connectors.

Celui qui est passé tout près cet automne de remporter le Prix EY d’entreprene­ur suisse de l’année (catégorie entreprise familiale), se souvient de l’atmosphère électrique dans la salle où étaient réunis administra­teurs et membres de la direction. «Les numéro un et numéro deux de l’entreprise sont partis. On m’a dit: prends les clés, débrouille-toi.»

Pistonné? Après douze ans sous la direction de Dominique Glauser – le numéro un en question, qui a été l’architecte de la modernisat­ion de Fischer Connectors –, la famille voulait remettre la main sur l’opérationn­el du groupe de Saint-Prex. En tant qu’époux de Sabrina Fischer, la fille du président du conseil d’administra­tion, Peter Fischer, Jonathan Brossard se plaçait en héritier naturel. Il ne dit pas si c’est ce qui a écourté la période de transition avec son prédécesse­ur, évoquant pudiquemen­t des «divergence­s de vues».

Mais il raconte le déficit de crédibilit­é qu’il a ressenti à ses débuts, et qu’il perçoit encore parfois dans le regard de ses pairs ou de certains clients. Et pour cause, «je ne suis pas ingénieur, je ne connaissai­s pas grandchose aux connecteur­s», concède celui qui, quelques mois avant sa prise de fonction, était encore sur les bancs de la Faculté de droit à l’Université de Lausanne.

Surtout, Jonathan Brossard sait s’entourer. D’abord de ses collaborat­eurs, «ils ont les compétence­s que je n’ai pas.» A leurs côtés, il apprivoise les plus de 30000 produits au catalogue de l’entreprise, entrant dans la compositio­n d’endoscopes ou de robots d’inspection du site de Fukushima. Et puis de ses clients, auprès desquels il cherche à comprendre les besoins du marché. Ou plutôt des marchés, puisque le groupe compte huit filiales dans le monde, notamment au Japon et aux Etats-Unis, chacune avec des spécificit­és locales, dans des segments aussi divers que le médical, les transports ou encore le militaire. Il les visite toutes.

Puis il passe à l’offensive. «Nous devons évoluer de la connectiqu­e vers la connectivi­té.» Car le connecteur est l’élément névralgiqu­e de la transmissi­on de données, comme il aime à le souligner. Jonathan Brossard noue des partenaria­ts dans des segments stratégiqu­es comme les énergies renouvelab­les, avec SolarStrat­os, un projet d’avion solaire.

Fischer Connectors s’est aussi rapprochée de la société britanniqu­e Wearable Technologi­es, spécialisé­e dans les vêtements intelligen­ts. «Nous produisons les connecteur­s installés sur les gilets d’ouvriers de chantier par exemple et sur lesquels sont branchés des radios ou des capteurs détectant un danger, comme du gaz ou encore la proximité de véhicules.» Un partenaria­t qui est né de ses velléités pour le juteux segment des technologi­es de la défense, «ces dispositif­s portatifs sont déjà une réalité chez le soldat connecté».

«Les numéro un et numéro deux de l’entreprise sont partis. On m’a dit: prends les clés, débrouille-toi» JONATHAN BROSSARD

«Fischer Connectors doit évoluer de la connectiqu­e vers la connectivi­té» JONATHAN BROSSARD

Le groupe se trouve aujourd’hui à un tournant: avec désormais 550 collaborat­eurs dans huit pays, elle n’est de loin plus une PME (la définition fédérale fixe le seuil à 250 employés). Mais elle n’a pas encore les épaules d’une grande multinatio­nale, tout en faisant face aux mêmes défis: réglementa­tion accrue, fiscalité incertaine et logistique. «Tout l’enjeu consiste à gagner en efficience, sans toucher aux effectifs.» Il peut compter sur son coach, son président de beau-père, Peter Fischer, avec qui il partage sa vision stratégiqu­e. Il est un peu plus que ça d’ailleurs.

Au fil de la discussion, l’armure se fissure un peu, à peine, en évoquant ce lien, qui a pris une dimension paternelle à la mort du père de Jonathan Brossard en 2012. Il s’en souvient comme d’un événement «intense», douloureux et marquant, qui l’a brutalemen­t tiré de l’insoucianc­e avec laquelle il menait sa vie. «Je n’avais jamais vraiment pris les études au sérieux, jusqu’à la mort de celui que j’admirais – il était le premier Suisse à avoir intégré l’ENA [institut français qui forme les hauts fonctionna­ires, ndlr].» «Je regrette qu’il ne voie pas ce que je suis devenu.»

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Jonathan Brossard pilote Fischer Connectors, une entreprise vaudoise forte de 550 collaborat­eurs et présente dans huit pays.

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