La marche triomphale de la société civile
Les mouvements apolitiques n’en finissent plus de bousculer l’ordre établi. Et ils ne comptent pas s’arrêter de sitôt
PHÉNOMÈNE Les mouvements citoyens ont été les grands gagnants des votations. Et l’avenir semble leur appartenir
Opération Libero, Foraus, Facteur de protection D, Courage civil, Appel citoyen. Les mouvements apolitiques gagnent en nombre et en puissance, comme en témoigne l’issue des votations de ce dimanche.
Souvent jeunes, constitués de parfaits inconnus et portés par les réseaux sociaux, ils exercent un pouvoir d’attraction capable de mobiliser des foules et de bouleverser la scène politique. Les partis traditionnels sontils dépassés? Les nouveaux venus parlent plutôt de complémentarité. «Les partis restent les piliers de la démocratie», confirme Pascal Sciarini, politologue à l’Université de Genève.
Une chose est sûre: le succès de ces mouvements citoyens et leur mode de fonctionnement, notamment un financement transparent, incitent les partis à repenser leurs stratégies et à se renouveler pour ne pas perdre leur crédibilité.
Ils sont devenus inarrêtables. Opération Libero, Facteur de protection D, Courage civil, Appel citoyen, Foraus, les mouvements apolitiques se multiplient et volent de succès en succès. Souvent constitués de parfaits inconnus, dénués d’expérience politique, parfois organisés dans l’urgence, ils mobilisent les foules sur internet, dans la rue et dynamitent la scène politique traditionnelle. Les partis suisses seraient-ils dépassés?
La naissance d’une contestation
Le 9 février 2014, l’UDC pourrait bien s’être tiré une balle dans le pied. Alors que le parti conservateur fête le succès de son initiative «Contre l’immigration de masse», de jeunes esprits helvétiques s’allument. Consternés par les valeurs défendues par le parti conservateur, ils décident de s’engager. C’est le cas de Sean Serafin, l’ancien responsable pour la Suisse romande de l’initiative «RASA», qui proposait justement de «renoncer à rétablir les contingents d’immigration» voulus par l’UDC. Malgré les 100 000 signatures récoltées, le texte qu’il défendait sera retiré, mais le but est atteint: Sous la pression, le parlement choisit une application légère et eurocompatible de l’initiative casse-tête.
«Il y a des moments dans le calendrier politique où les acteurs traditionnels ne peuvent rien faire, explique Sean Serafin. Quand «RASA» a été lancée, les partis avaient déjà les yeux rivés sur l’initiative «Ecopop» et sur les élections fédérales. Ils n’avaient pas le temps de revenir sur l’immigration de masse. C’est dans ce genre d’interstices que la société civile, qui ne doit pas regarder le calendrier politique ni se faire élire, peut jouer un rôle.»
«Je ne m’explique pas ce succès»
Portés par internet, ces nouveaux acteurs apartisans mobilisent de manière efficace et avec la vitesse de l’éclair. Sans bureaux et en à peine quelques mois, une poignée de quérulents, Dimitri Rougy – conseiller communal PS à Interlaken de 21 ans – à leur tête, ont ainsi récolté 55 000 signatures pour combattre la surveillance des assurés par l’intermédiaire de la plateforme internet Wecollect. S’ils n’ont pas été soutenus par la population dans les urnes, ils l’ont amenée à prendre en compte la thématique. Et la mise en oeuvre des assureurs surveillants sera désormais surveillée.
Certains de ces mouvements sont éphémères, comme «RASA», d’autres durent. C’est le cas d’Opération Libero, créé le 13 février 2014, qui enchaîne les victoires. Contre l’initiative sur «les juges étrangers», sur laquelle le peuple suisse vient de se prononcer, contre le renvoi effectif des criminels étrangers ou encore contre «No Billag», le groupe de millennials est devenu la bête noire de l’UDC. A la plus grande surprise de ses créateurs: «Je ne m’explique pas vraiment ce succès», avoue Laura Zimmermann, sa coprésidente. «Nous faisons simplement de la politique de manière plus détendue, plus positive.» Où se situe cet ovni démocratique? «Nous sommes complémentaires aux partis traditionnels, tout en évoluant en dehors de leur influence», explique la Bernoise.
«Les gens s’intéressent de plus en plus à des thématiques précises plutôt qu’à des partis» LAURA ZIMMERMANN, OPÉRATION LIBERO
L’accessibilité de ce genre de mouvements séduit la population. Leur fonctionnement, certains politiciens. «Les gens s’intéressent de plus en plus à des thématiques précises plutôt qu’à des partis, souligne Laura Zimmermann. Cela concerne également certaines personnes déjà actives en politique, qui viennent nous voir pour donner encore davantage selon le sujet sur lequel nous faisons campagne.» Créé en réaction à une décision politique en laquelle il ne se reconnaissait pas, Opération Libero ne fonctionne par ailleurs plus seulement a posteriori mais agit désormais de manière prospective. «Nous appuyons le mariage pour tous en coopération avec des parlementaires Vert’libéraux», commente sobrement Laura Zimmermann.
De plus en plus influents, de plus en plus nombreux – le comité apartisan Appel citoyen vient encore de triompher dans le cadre de la Constituante valaisanne – ces mouvements ne représenteraient toutefois pas une menace pour les structures traditionnelles, selon Pascal Sciarini, politologue à l’Université de Genève. «Les partis restent les piliers de la démocratie, assure le Genevois. Tôt ou tard, les personnes qui s’engagent dans un mouvement citoyen devront rejoindre un parti si elles veulent continuer de peser sur les processus de décision politiques de tous les jours.» Dépoussiérer les vieilles machines
Loin d’adhérer à la vision du politologue, Laura Zimmermann pense que c’est plutôt à l’ordre établi de se remettre en question: «Les partis traditionnels doivent réfléchir à leur manière de faire de la politique, dit-elle, devenir moins hiérarchique, plus dynamique, plus attractif pour les jeunes.» Pourquoi donc ne pas leur montrer l’exemple en transformant le mouvement en parti? «Ah non, ce serait tout à fait contre-productif», écarte-t-elle. Imperturbable, le brise-glace Libero continue sa route.
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