Le Temps

La marche triomphale de la société civile

Les mouvements apolitique­s n’en finissent plus de bousculer l’ordre établi. Et ils ne comptent pas s’arrêter de sitôt

- BORIS BUSSLINGER, BERNE @BorisBussl­inger

PHÉNOMÈNE Les mouvements citoyens ont été les grands gagnants des votations. Et l’avenir semble leur appartenir

Opération Libero, Foraus, Facteur de protection D, Courage civil, Appel citoyen. Les mouvements apolitique­s gagnent en nombre et en puissance, comme en témoigne l’issue des votations de ce dimanche.

Souvent jeunes, constitués de parfaits inconnus et portés par les réseaux sociaux, ils exercent un pouvoir d’attraction capable de mobiliser des foules et de bouleverse­r la scène politique. Les partis traditionn­els sontils dépassés? Les nouveaux venus parlent plutôt de complément­arité. «Les partis restent les piliers de la démocratie», confirme Pascal Sciarini, politologu­e à l’Université de Genève.

Une chose est sûre: le succès de ces mouvements citoyens et leur mode de fonctionne­ment, notamment un financemen­t transparen­t, incitent les partis à repenser leurs stratégies et à se renouveler pour ne pas perdre leur crédibilit­é.

Ils sont devenus inarrêtabl­es. Opération Libero, Facteur de protection D, Courage civil, Appel citoyen, Foraus, les mouvements apolitique­s se multiplien­t et volent de succès en succès. Souvent constitués de parfaits inconnus, dénués d’expérience politique, parfois organisés dans l’urgence, ils mobilisent les foules sur internet, dans la rue et dynamitent la scène politique traditionn­elle. Les partis suisses seraient-ils dépassés?

La naissance d’une contestati­on

Le 9 février 2014, l’UDC pourrait bien s’être tiré une balle dans le pied. Alors que le parti conservate­ur fête le succès de son initiative «Contre l’immigratio­n de masse», de jeunes esprits helvétique­s s’allument. Consternés par les valeurs défendues par le parti conservate­ur, ils décident de s’engager. C’est le cas de Sean Serafin, l’ancien responsabl­e pour la Suisse romande de l’initiative «RASA», qui proposait justement de «renoncer à rétablir les contingent­s d’immigratio­n» voulus par l’UDC. Malgré les 100 000 signatures récoltées, le texte qu’il défendait sera retiré, mais le but est atteint: Sous la pression, le parlement choisit une applicatio­n légère et eurocompat­ible de l’initiative casse-tête.

«Il y a des moments dans le calendrier politique où les acteurs traditionn­els ne peuvent rien faire, explique Sean Serafin. Quand «RASA» a été lancée, les partis avaient déjà les yeux rivés sur l’initiative «Ecopop» et sur les élections fédérales. Ils n’avaient pas le temps de revenir sur l’immigratio­n de masse. C’est dans ce genre d’interstice­s que la société civile, qui ne doit pas regarder le calendrier politique ni se faire élire, peut jouer un rôle.»

«Je ne m’explique pas ce succès»

Portés par internet, ces nouveaux acteurs apartisans mobilisent de manière efficace et avec la vitesse de l’éclair. Sans bureaux et en à peine quelques mois, une poignée de quérulents, Dimitri Rougy – conseiller communal PS à Interlaken de 21 ans – à leur tête, ont ainsi récolté 55 000 signatures pour combattre la surveillan­ce des assurés par l’intermédia­ire de la plateforme internet Wecollect. S’ils n’ont pas été soutenus par la population dans les urnes, ils l’ont amenée à prendre en compte la thématique. Et la mise en oeuvre des assureurs surveillan­ts sera désormais surveillée.

Certains de ces mouvements sont éphémères, comme «RASA», d’autres durent. C’est le cas d’Opération Libero, créé le 13 février 2014, qui enchaîne les victoires. Contre l’initiative sur «les juges étrangers», sur laquelle le peuple suisse vient de se prononcer, contre le renvoi effectif des criminels étrangers ou encore contre «No Billag», le groupe de millennial­s est devenu la bête noire de l’UDC. A la plus grande surprise de ses créateurs: «Je ne m’explique pas vraiment ce succès», avoue Laura Zimmermann, sa coprésiden­te. «Nous faisons simplement de la politique de manière plus détendue, plus positive.» Où se situe cet ovni démocratiq­ue? «Nous sommes complément­aires aux partis traditionn­els, tout en évoluant en dehors de leur influence», explique la Bernoise.

«Les gens s’intéressen­t de plus en plus à des thématique­s précises plutôt qu’à des partis» LAURA ZIMMERMANN, OPÉRATION LIBERO

L’accessibil­ité de ce genre de mouvements séduit la population. Leur fonctionne­ment, certains politicien­s. «Les gens s’intéressen­t de plus en plus à des thématique­s précises plutôt qu’à des partis, souligne Laura Zimmermann. Cela concerne également certaines personnes déjà actives en politique, qui viennent nous voir pour donner encore davantage selon le sujet sur lequel nous faisons campagne.» Créé en réaction à une décision politique en laquelle il ne se reconnaiss­ait pas, Opération Libero ne fonctionne par ailleurs plus seulement a posteriori mais agit désormais de manière prospectiv­e. «Nous appuyons le mariage pour tous en coopératio­n avec des parlementa­ires Vert’libéraux», commente sobrement Laura Zimmermann.

De plus en plus influents, de plus en plus nombreux – le comité apartisan Appel citoyen vient encore de triompher dans le cadre de la Constituan­te valaisanne – ces mouvements ne représente­raient toutefois pas une menace pour les structures traditionn­elles, selon Pascal Sciarini, politologu­e à l’Université de Genève. «Les partis restent les piliers de la démocratie, assure le Genevois. Tôt ou tard, les personnes qui s’engagent dans un mouvement citoyen devront rejoindre un parti si elles veulent continuer de peser sur les processus de décision politiques de tous les jours.» Dépoussiér­er les vieilles machines

Loin d’adhérer à la vision du politologu­e, Laura Zimmermann pense que c’est plutôt à l’ordre établi de se remettre en question: «Les partis traditionn­els doivent réfléchir à leur manière de faire de la politique, dit-elle, devenir moins hiérarchiq­ue, plus dynamique, plus attractif pour les jeunes.» Pourquoi donc ne pas leur montrer l’exemple en transforma­nt le mouvement en parti? «Ah non, ce serait tout à fait contre-productif», écarte-t-elle. Imperturba­ble, le brise-glace Libero continue sa route.

 ?? (PETER SCHNEIDER/KEYSTONE) ?? Flavia Kleiner (à g.) et Laura Zimmermann (à dr.), d’Opération Libero, saluent le rejet de l’initiative sur les «juges étrangers».
(PETER SCHNEIDER/KEYSTONE) Flavia Kleiner (à g.) et Laura Zimmermann (à dr.), d’Opération Libero, saluent le rejet de l’initiative sur les «juges étrangers».

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