Mammouth du futur et cimetière d’éléphants
Dans «Genesis 2.0», Christian Frei suit les chasseurs de défenses dans le cercle arctique et les généticiens dans les labos où l’on rêve de recréer le pachyderme laineux. Ce documentaire philosophique s’interroge sur l’avenir du vivant
Dans son documentaire Genesis 2.0, le réalisateur Christian
Frei met en images les tentatives de reconstitution du proboscidien disparu durant la préhistoire. En suivant les chasseurs de cadavres dans le permafrost et les généticiens dans leurs laboratoires, il échafaude une réflexion philosophique sur l’avenir du vivant.
tC’est un film d’aventures fantastique, genre Le cimetière des cachalots passé par La vallée des mammouths. En quête de fortune, des hommes font 350 kilomètres sur des dinghy boats à travers des flots perfides pour rallier les îles de Nouvelle-Sibérie. Là, ils profitent que l’été arctique ramollisse le permafrost pour déterrer des défenses de mammouths. Ils mettent au jour des ossuaires fantastiques, os et parfois poils comprimés par la boue. Il arrive même que certaines carcasses saignent. Les plus belles défenses se monnaient à prix d’or – 1000 dollars le kilo – auprès de marchands chinois. Finement sculptées, elles finissent dans le lobby des grands hôtels de luxe.
Le film paie aussi son tribut à la science-fiction, tendance Bienvenue à Gattaca et Jurassic Park. Aux Etats-Unis, en Corée, en Chine, des généticiens rêvent de recréer le grand proboscidien velu de l’âge de glace, mais aussi d’«insérer de nouveaux codes dans le génome du vivant». Aux Etats-Unis, George Church, ingénieur en génétique moléculaire, veut recréer un mammouth en implantant son ADN dans une cellule d’éléphante asiatique. Ce savant est adulé comme une rock star par les milliers d’étudiants participant à la compétition International Genetically Engineered Machine. Cinq équipes concouraient en 2004, 300 cette année, soit 5600 apprentis sorciers, heureux de bricoler le vivant, ce magnifique Lego. Caniche adoré
Dans Genesis 2.0, Christian Frei, auquel on doit des documentaires humanistes et poétiques comme The Giant Buddhas, Space Tourists ou War Photographer, oppose les reliques millénaires aux technologies futuristes pour mener une réflexion philosophique sur la notion de vivant. En Corée, il visite la société Sooam Biotech, dirigée par Hwang Woo-suk, un généticien très controversé qui, pour 100000 dollars, clone le caniche adoré dont le décès a laissé ses maîtres inconsolables.
En Chine, à Shenzhen, le BGI (Beijing Genomics Institute) travaille sur le séquençage du vivant. «Life becomes Big Data», claironne le directeur prométhéen de l’entreprise. Il rêve de recréer le mammouth, d’entrer l’ADN des Chinois dans ses ordinateurs et vaticine: «La parole de Dieu n’est pas encore parfaite. En travaillant ensemble, on peut rendre Dieu parfait.» Un généticien américain évoque la question de l’éthique. La responsable de la communication esquisse un sourire d’incompréhension puis son regard s’absente. Ce masque impassible exprime le gouffre entre l’Occident et la Chine, entre l’inquiétude ontologique et la fuite en avant scientiste.
Devant le BGI trône une hideuse statue de mammouth grandeur nature, comme un trophée propitiatoire. Eteint il y a quelques milliers d’années, le noble pachyderme a été le contemporain de l’Homo sapiens. Le changement climatique lui a été fatal; l’homme a sans doute précipité sa disparition en le chassant. Est-pour conjurer cette faute qu’il rêve de le ressusciter? Et s’il revenait, arraché du néant pour échouer sur une planète rétrécie et trop chaude, quelle serait la tristesse de ce «mammophant», exhibé comme un trophée devant des clones humains parmi ces chimères que sont le cama (dromadaire+lama), le mouchèvre (mouton+chèvre) ou le zébrule (zèbre+cheval)?
Il est tabou de toucher aux os du mammouth. Les chercheurs d’ivoire conjurent les maléfices à travers divers rituels. Ils souffrent pourtant de la solitude, sombrent dans la dépression. L’un d’eux, dit-on, s’est pendu. Comme il n’y a pas d’arbre en Nouvelle-Sibérie, il a érigé une potence avec trois défenses… Mais les promesses de l’avenir ne sont-elles pas plus effrayantes que les malédictions du passé?
▅
VVVGenesis 2.0, de Christian Frei, avec la collaboration de Maxim Arbugaev (Suisse, 2018), 1h53. Les étoiles du Temps: VVVVOn adule VVVOn admire VVOn estime VOn supporte xOn peste xxOn abhorre –On n’a pas vu