La haine anti-journalistes flambe
Les actes de violence se multiplient en marge des rassemblements des «gilets jaunes». Accusés de tous les maux, les représentants des médias sont pris entre deux feux
tCoups de pied, crachats, insultes, menaces: les actes de violence envers les journalistes se multiplient en marge des mobilisations des «gilets jaunes». Ce week-end encore, cinq reporters ont été pris à partie à Toulouse et une autre a été violemment insultée et aspergée d’eau sur les Champs-Elysées par un manifestant sans gilet.
Sur les réseaux sociaux, une haine lancinante se déverse contre cette presse «orientée, mensongère, prompte à la collusion, aux magouilles, et adepte du parti pris». Le Syndicat national des journalistes français a «condamné avec la plus grande fermeté ces exactions et dénoncé le vent mauvais qui souffle sur la liberté de la presse».
Le mouvement des «gilets jaunes» n’a bien sûr pas l’apanage des agressions contre les représentants des médias. De tels actes ont aussi été observés lors des manifestations à Notre-Dame-des-Landes, lors des rassemblements contre la loi travail ou, bien avant, lors des différents G8. Cette fois-ci, les violences semblent s’amplifier. «Les «gilets jaunes» sont mus par une puissante colère qu’ils rejettent sur les journalistes», estime Céline Pigalle, directrice de l’information de BFMTV, dans les colonnes du Monde.
Entre autres tares dont sont accusés les journalistes, il y a celle de travestir la réalité. Ils «manipulent l’opinion en tentant d’encarter les «gilets jaunes» tantôt à l’extrême droite, tantôt à l’extrême gauche pour provoquer un sentiment de dégoût chez les Français sauf que voilà: ça ne marche PLUS et maintenant, nous savons que vous êtes des traîtres», lance @dojcinovic_m.
Puis vient le sentiment de déconnexion du terrain, alimenté par le fameux duel élites-peuple. «Les journalistes pris à partie paient pour trente ans d’absence de remise en question de leurs pairs», estime @Turigoloukoi.
Plus grave encore, ce discours est aussi endossé par des personnalités politiques. A l’instar de Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon et cofondatrice du journal en ligne Le Média, qui a déclaré sur Facebook: «Je ne parviens pas à ressentir de compassion sincère pour ces journalistes. Evitons de leur donner le prétexte de se victimiser. Ne les lynchez pas: ne leur parlez pas, ne les lisez pas et ne les regardez pas.»
«Pardon? Il suffit d’ouvrir un quotidien pour voir que c’est faux. Exemple du jour: l’enquête internationale sur les implants médicaux. C’est un vrai travail d’enquête. Et il y en a tous les jours du même genre», s’insurge @OwenaCox.
«Quand un mouvement commence à mettre en doute l’impartialité des médias, c’est qu’il se rend compte que la vérité n’est pas en sa faveur. Seule solution, décrédibiliser les médias», renchérit @cel1970.
Au sein de la profession, le message est unanime, même hors du cercle des médias dominants. «Si la critique des médias est nécessaire, les violences verbales et physiques contre les journalistes sont insupportables. Que les personnalités qui soufflent sur les braises réfléchissent à leur responsabilité», tance @NassiraELM, directrice du Bondy Blog.
Malgré tout, les accusations de fake news pullulent. La course à la publication et le flux continu d’informations peuvent, il est vrai, engendrer des erreurs. Un des journalistes de BFMTV en a fait l’expérience: après avoir accusé les manifestants d’avoir dépavé un large pan des Champs-Elysées, il a réalisé qu’il s’agissait d’une zone de travaux et s’est excusé.
Un épisode isolé ne saurait saper le travail d’une profession entière. Or aujourd’hui, le quatrième pouvoir se retrouve pris entre deux feux. Un internaute résume le grand écart un brin surréaliste auquel la presse est soumise: «L’agression de #journalistes doit être condamnée. Mais l’agression des journalistes et des #médias contre le peuple et ses légitimes revendications doit l’être aussi.» On en est là.
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