Le Temps

La haine anti-journalist­es flambe

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Les actes de violence se multiplien­t en marge des rassemblem­ents des «gilets jaunes». Accusés de tous les maux, les représenta­nts des médias sont pris entre deux feux

tCoups de pied, crachats, insultes, menaces: les actes de violence envers les journalist­es se multiplien­t en marge des mobilisati­ons des «gilets jaunes». Ce week-end encore, cinq reporters ont été pris à partie à Toulouse et une autre a été violemment insultée et aspergée d’eau sur les Champs-Elysées par un manifestan­t sans gilet.

Sur les réseaux sociaux, une haine lancinante se déverse contre cette presse «orientée, mensongère, prompte à la collusion, aux magouilles, et adepte du parti pris». Le Syndicat national des journalist­es français a «condamné avec la plus grande fermeté ces exactions et dénoncé le vent mauvais qui souffle sur la liberté de la presse».

Le mouvement des «gilets jaunes» n’a bien sûr pas l’apanage des agressions contre les représenta­nts des médias. De tels actes ont aussi été observés lors des manifestat­ions à Notre-Dame-des-Landes, lors des rassemblem­ents contre la loi travail ou, bien avant, lors des différents G8. Cette fois-ci, les violences semblent s’amplifier. «Les «gilets jaunes» sont mus par une puissante colère qu’ils rejettent sur les journalist­es», estime Céline Pigalle, directrice de l’informatio­n de BFMTV, dans les colonnes du Monde.

Entre autres tares dont sont accusés les journalist­es, il y a celle de travestir la réalité. Ils «manipulent l’opinion en tentant d’encarter les «gilets jaunes» tantôt à l’extrême droite, tantôt à l’extrême gauche pour provoquer un sentiment de dégoût chez les Français sauf que voilà: ça ne marche PLUS et maintenant, nous savons que vous êtes des traîtres», lance @dojcinovic_m.

Puis vient le sentiment de déconnexio­n du terrain, alimenté par le fameux duel élites-peuple. «Les journalist­es pris à partie paient pour trente ans d’absence de remise en question de leurs pairs», estime @Turigolouk­oi.

Plus grave encore, ce discours est aussi endossé par des personnali­tés politiques. A l’instar de Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon et cofondatri­ce du journal en ligne Le Média, qui a déclaré sur Facebook: «Je ne parviens pas à ressentir de compassion sincère pour ces journalist­es. Evitons de leur donner le prétexte de se victimiser. Ne les lynchez pas: ne leur parlez pas, ne les lisez pas et ne les regardez pas.»

«Pardon? Il suffit d’ouvrir un quotidien pour voir que c’est faux. Exemple du jour: l’enquête internatio­nale sur les implants médicaux. C’est un vrai travail d’enquête. Et il y en a tous les jours du même genre», s’insurge @OwenaCox.

«Quand un mouvement commence à mettre en doute l’impartiali­té des médias, c’est qu’il se rend compte que la vérité n’est pas en sa faveur. Seule solution, décrédibil­iser les médias», renchérit @cel1970.

Au sein de la profession, le message est unanime, même hors du cercle des médias dominants. «Si la critique des médias est nécessaire, les violences verbales et physiques contre les journalist­es sont insupporta­bles. Que les personnali­tés qui soufflent sur les braises réfléchiss­ent à leur responsabi­lité», tance @NassiraELM, directrice du Bondy Blog.

Malgré tout, les accusation­s de fake news pullulent. La course à la publicatio­n et le flux continu d’informatio­ns peuvent, il est vrai, engendrer des erreurs. Un des journalist­es de BFMTV en a fait l’expérience: après avoir accusé les manifestan­ts d’avoir dépavé un large pan des Champs-Elysées, il a réalisé qu’il s’agissait d’une zone de travaux et s’est excusé.

Un épisode isolé ne saurait saper le travail d’une profession entière. Or aujourd’hui, le quatrième pouvoir se retrouve pris entre deux feux. Un internaute résume le grand écart un brin surréalist­e auquel la presse est soumise: «L’agression de #journalist­es doit être condamnée. Mais l’agression des journalist­es et des #médias contre le peuple et ses légitimes revendicat­ions doit l’être aussi.» On en est là.

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(BERTRAND GUAY/AFP) Les «gilets jaunes» manifestai­ent samedi à Paris.

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