S’amuser (en travaillant) et être performant
Je l’ai déjà écrit plusieurs fois, mais je le répète, car le propos ne passe pas: on peut avoir du plaisir en travaillant et être performant. Je dirais même plus. Je pense qu’on est plus performant, et surtout plus longtemps, si l’on a du plaisir en travaillant. C’est une évidence pour chacun? Que nenni! En 2018, comme trente ou cinquante ans auparavant, un individu qui rit au travail est vu comme un tireau-flanc. Ou, en tout cas, comme un collaborateur qui ne donne pas la pleine mesure de son rendement.
Regardez autour de vous. Vers qui se porte votre admiration en termes de sérieux professionnel? Vers le boute-en-train perpétuel? Ou vers l’employé modèle? On rit avec le rieur, mais, pour ce qui est de faire équipe, on s’associe plutôt avec le trimeur. Simplement parce que, dans notre société judéo-chrétienne qui valorise l’effort, si on accomplit une tâche avec joie et facilité, c’est que le boulot est mal fait. Pour atteindre les sommets, il faut souffrir et suer. Et pourtant, on adore tous Kilian Jornet, ce coureur catalan qui avale l’Everest et le Mont-Blanc en sautillant. L’alpiniste réussit des exploits, des ascensions éclair en des temps record, parce que, dit-il, il est détendu et heureux de croquer du rocher. Souffrir n’est pas synonyme de réussir. Comment le dire autrement?
Jeudi dernier, j’ai pris l’avion pour Lisbonne. Il faisait froid et humide. En longeant l’immense chantier qui borde l’aéroport, je me suis dit que les travailleurs devaient déguster. Avec le train, on passe si près qu’on peut distinguer leur visage. A ma grande surprise, ils avaient tous la banane. Sans doute que l’un d’eux avait dû lancer une plaisanterie et susciter l’hilarité. Ou alors, simplement, ces employés du bâtiment aiment leur job et l’exécutent sans déplaisir… Cette pensée est choquante? Pourquoi?
Bien sûr, dans certaines entreprises qui en font leur signature, le plaisir devient parfois une dictature. Devoir s’amuser en travaillant peut masquer de vraies souffrances et écraser toute possibilité de résistance. Si le mot d’ordre devient totalitaire, il y a forcément des effets pervers.
Mais, en Suisse, on en est loin, très loin. Grâce à l’école et à l’éducation, l’employé a bien intégré que, pour être vu comme un bon élément, il devait soupirer. Moi qui suis plutôt joyeuse, je ne compte pas le nombre de personnes qui me disent: «Ah mais toi, tu ne travailles pas. Tu aimes ce que tu fais, alors ça ne compte pas!» Voilà le type de remarque qui pourrait me faire soupirer.
▅