Face aux «gilets jaunes», Macron change de ton mais pas de cap
Face aux «gilets jaunes», Emmanuel Macron lâche un peu de lest en laissant entendre que le coût des taxes sur l’essence pourrait fluctuer selon le prix du baril de pétrole. Le président français se livre surtout à un épisode d’autocritique qui montre qu’il ne prend plus les colères à la légère
tEmmanuel Macron a senti passer le vent du boulet. Présentant mardi matin, dans un discours prévu de longue date, son programme de transition énergétique, le président français a évidemment répondu au mouvement des «gilets jaunes» et multiplié des paroles d’empathie dont il n’est pas forcément coutumier.
«Je crois comprendre vraiment les attentes et les frustrations, une colère sourde, des rancunes et des rancoeurs qu’éprouvent les citoyens devant des pouvoirs qu’ils sentent indifférents», a-t-il notamment déclaré, ajoutant: «Nombre de nos concitoyens expriment la crainte d’être laissés pour compte. Cette crainte, je ne peux que la partager […] Nous devons entendre les alarmes sociales sans oublier les alarmes environnementales […] Il ne faut pas renoncer au cap de la transition écologique, qui est juste et nécessaire. Mais il s’agit de changer de méthode, car nombre de concitoyens ont pensé qu’on la leur imposait d’en haut, qu’on ne leur apportait pas de solutions.» Autocritique inédite
Reconnaître qu’il convient de «changer de méthode», c’est bel et bien admettre que, sur ce sujet de la transition écologique et peut-être sur d’autres dossiers, lui et le gouvernement se sont trompés.
C’est la seconde fois en quelques jours qu’Emmanuel Macron se livre à une autocritique rarissime, si ce n’est inédite, de la part d’un président français. Le 14 novembre, interrogé sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, il avait reconnu qu’il n’avait «pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants». C’est pourtant en grande partie sur ce pari qu’il avait été élu en mai 2017, dans la grande vague du «dégagisme» noyant les vieux partis politiques. Il avait alors bénéficié d’une assez longue période d’a priori favorable. Mais ce temps est révolu.
Il faut dire qu’Emmanuel Macron n’a pas mis tous les atouts de son côté pour réussir cette réconciliation entre le peuple et les élites. En dix-huit mois, ce jeune président de 40 ans est passé de l’espoir qu’il avait fait naître à une défiance qui, quand on écoute les «gilets jaunes», se transforme parfois en haine. Sa jeunesse et sa fraîcheur dans la vie politique (il n’avait auparavant exercé aucun mandat électif ) sont devenues, aux yeux de beaucoup, de l’inexpérience, voire de l’immaturité. Les sondages actuels sont sans appel: les trois quarts des Français ont une mauvaise opinion de leur président. Même son prédécesseur, François Hollande, n’était pas tombé aussi bas au même moment de son propre quinquennat. Et si, faute de résultats, sa compétence est mise en doute, c’est d’abord son arrogance qui est pointée du doigt.
Ministre de l’Economie, Emmanuel Macron avait déjà évoqué (avant de s’en excuser) des ouvrières «illettrées». Candidat à la présidentielle, il avait maladroitement évoqué l’alcoolisme de certaines populations du nord de la France. Filmé par ses propres équipes de communication à l’Elysée, il dénonce «le pognon de dingue» dépensé pour le social. Dialoguant avec des chefs d’entreprise du Massif central, il se gausse de ces grévistes qui «foutent le bordel» au lieu de faire quelques dizaines de kilomètres pour aller travailler ailleurs quand leur usine ferme. Il n’était alors pas question du prix de l’essence.
En visite à l’étranger, il adopte l’étrange manie de dénigrer les Français, qualifiés au Danemark de «Gaulois réfractaires aux réformes». En Roumanie, il récidive en assurant que «la France n’est pas un pays réformable» car «les Françaises et les Français détestent les réformes». En Grèce, il assure qu’il ne «cédera ni aux fainéants ni aux cyniques ni aux extrêmes» sans préciser de qui il parle.
Enfin et surtout, toute conversation qui s’engage sur Emmanuel Macron, et pas seulement avec des «gilets jaunes», aboutit inéluctablement à sa fameuse phrase «Je traverse la rue, je vous trouve du travail», adressée à un jeune horticulteur cherchant un emploi. Sans doute voulait-il alors mettre l’accent sur le fait que de nombreux secteurs de l’activité économique cherchent de la main-d’oeuvre sans la trouver. Mais sa manière hautaine, un rien méprisante, ne passe pas.
Mardi, Emmanuel Macron a voulu corriger tout cela à la fois, et atténuer aussi ses défauts de technocrate, allant jusqu’à dire à propos du «chèque énergie» proposé récemment par le gouvernement: «Les gens ne savent pas ce que c’est. A la vérité, moi non plus.» Mais quand il répond à la demande de suppression des taxes par la fermeture de 50% du parc nucléaire à l’horizon 2035, dont deux réacteurs de Fessenheim en 2020, il n’est pas certain que cela suffise à calmer les colères.
Concessions face à la colère
Sur un point, pourtant, il lâche du lest: au terme d’une «grande concertation de terrain» de trois mois, associant élus, syndicats, associations et représentants des manifestants (le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, devait recevoir des «gilets jaunes» mardi soir), il pourra être décidé d’adapter le prix du litre d’essence en fonction du cours du pétrole pour ne pas pénaliser les zones dites «périphériques» que le gouvernement semble avoir récemment découvertes.
Son ancien ministre démissionnaire Nicolas Hulot ayant évoqué «la fin du monde» à cause des menaces qui pèsent sur la planète, et les «gilets jaunes» ayant répondu en parlant de leurs fins de mois difficiles, Emmanuel Macron tente une délicate synthèse: «Fin du monde et fin du mois, nous allons traiter les deux et nous devons traiter les deux.» Tout en souhaitant peut-être que la fin de l’année et la période des Fêtes mettent les colères sous le boisseau.
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Sa jeunesse et sa fraîcheur dans la vie politique sont devenues, aux yeux de beaucoup, de l’inexpérience, voire de l’immaturité