Notre politique extérieure est dictée par la droite conservatrice
La réorientation de la politique étrangère au cours des derniers mois nous laisse alternativement stupéfaits et en colère. Au début, personne ne pouvait établir à Berne si les prises de position saccadées et les changements de direction abrupts du nouveau chef du DFAE étaient réfléchis et calculés ou s’ils relevaient simplement d’une forme d’amateurisme. Au fil des mois, les choses se sont clarifiées: le chef du DFAE poursuit un plan de rupture, celui tracé par les nationaux conservateurs qui l’ont porté au Conseil fédéral. Pour le pire.
Un bref aperçu nous montre l’étendue des dégâts très concrets déjà causés en peu de temps:
• Une politique étrangère crédible exige fiabilité et cohérence. Notre pays a toujours soutenu l’UNRWA, l’organisation de secours des Nations unies pour les réfugié-e-s en Palestine, dirigée par un Suisse. Le monde entier se frotte les yeux lorsque le DFAE remet soudain en question son travail et sa légitimité.
• Une politique étrangère crédible exige constance et loyauté.
Les négociateurs et les diplomates doivent pouvoir compter sur l’appui de leur gouvernement. Le refus d’Ignazio Cassis de soutenir le pacte sur les migrations est un coup de couteau dans le dos du chef de mission de la Confédération à New York, mandaté par le président de l’Assemblée générale pour diriger les négociations menant à ce pacte. Ce pacte porte le drapeau suisse. En refusant de défendre Jürg Lauber injustement attaqué par l’UDC, le DFAE déstabilise tout notre appareil diplomatique.
Une politique étrangère crédible nécessite une ligne politique lisible, orientée sur des principes clairs. Le refus par le Conseil fédéral d’adhérer au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires constitue une rupture • dans notre engagement pour positionner Genève comme le centre du désarmement mondial. Même l’Autriche de Sebastian Kurz a fait le choix inverse, donnant la priorité à sa tradition humanitaire.
• Une politique étrangère crédible exige une pondération entre nos intérêts économiques et les valeurs portées par la Confédération. Cette recherche d’équilibre devrait, par exemple, nous conduire à refuser d’exporter des armes vers les zones de guerre. Sous l’impulsion de Johann Schneider-Ammann et du nouveau chef du DFAE, une majorité au Conseil fédéral a tenté de passer outre. Il a fallu la violente réaction d’une partie du parlement, et l’annonce d’une initiative populaire pour corriger cette ignominie.
• Enfin, une politique étrangère crédible exige honnêteté et franchise. Tenter en catimini d’affaiblir la protection des salaires en Suisse sous couvert d’un accord européen ne peut que susciter un rejet ferme et déterminé. Il est navrant de voir des membres du Conseil fédéral mettre en question les mesures d’accompagnement pour la protection des salaires dans la libre circulation des personnes, interview après interview, au mépris des lignes rouges fixées pourtant par l’exécutif luimême. En refusant de faire rimer comme jusqu’à présent ouverture européenne et progrès social, le DFAE met en danger vingt ans de politique européenne réussie. L’ancienne ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey nous a mis en garde contre la «trumpisation» de notre politique étrangère. J’ai pensé qu’elle exagérait. J’avais malheureusement tort. Notre nouveau chef du DFAE a trouvé à New York mille mérites à la politique extérieure américaine, il a exprimé toute sa compréhension pour l’approche unilatérale, basée sur la force brute, défendue par les Etats-Unis. Il se positionne aux antipodes de l’approche coopérative, multilatérale et orientée sur le droit que revendiquent avec force Emmanuel Macron, Angela Merkel et… le président de la Confédération, Alain Berset. La loi du plus fort, revendiquée par Trump, est diamétralement opposée aux possibilités objectives d’un petit Etat comme la Suisse. Celle-ci tient à la primauté du droit sur la force, comme l’a rappelé avec clarté le peuple le week-end dernier. Pour notre politique extérieure, cela implique de:
• consolider et promouvoir nos relations avec l’UE, en concluant un accord-cadre respectueux des droits des salariés;
• renforcer notre engagement sur le plan multilatéral pour résoudre les problèmes globaux, par exemple en matière de migration;
• donner clairement une priorité à notre politique de paix et de sécurité, en faveur d’un ordre international juste et durable;
• promouvoir le développement durable et la prospérité commune.
Si la Suisse entend garder la réputation qui était la sienne jusqu’à présent, elle serait bien inspirée de réfléchir à ces principes et aux véritables intérêts de notre pays à long terme pour revenir au travail fructueux de sa politique étrangère de longue date. L’aventure actuelle mène au désastre, et elle doit cesser.
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Le DFAE met en danger vingt ans de politique européenne réussie