Un pavillon suisse pour l’Aquarius!
Depuis l’été dernier, certains Etats européens ont décidé de bloquer les navires humanitaires à quai à tout prix ou plutôt au prix de centaines, voire de milliers de vies humaines perdues en Méditerranée. L’Aquarius, ce navire utilisé par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, est sans doute le symbole de cette stratégie néfaste. Fait sans précédent dans l’histoire maritime internationale, il s’est vu retirer le pavillon durant l’été 2018, à deux reprises, pour avoir sauvé des gens d’une mort certaine. Et les intimidations vont croissant, puisque le procureur de Catane vient d’en ordonner la saisie conservatoire, sous l’accusation grotesque qu’il aurait mal trié les déchets potentiellement porteurs de maladies contagieuses.
La Suisse est en mesure aujourd’hui d’exprimer son soutien aux missions de sauvetage en mer, en accordant à l’Aquarius le pavillon pour une navigation à des fins humanitaires, prévu à l’article 35 de la loi fédérale sur la navigation maritime. A l’heure où le Conseil fédéral s’apprête à discuter d’une interpellation de députés favorables à une telle démarche, il est opportun de clarifier les conséquences juridiques pour la Suisse d’un tel octroi. Elles ne sont, à vrai dire, que peu nombreuses.
Ainsi, l’article 94 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (à laquelle la Suisse est partie) requiert la tenue d’un registre et des vérifications quant à la sécurité et à la navigabilité. Plus généralement, à travers l’octroi du pavillon, l’Etat place le navire sous sa juridiction et son contrôle. C’est à ce titre qu’il doit prendre des mesures préventives et répressives pour faire en sorte que le navire et son équipage respectent le droit international et national. En matière de sauvetage en mer, l’obligation de secours est inscrite à l’article 98 de la Convention, qui codifie en réalité une coutume séculière, à laquelle les marins sont viscéralement attachés.
Ces obligations ne sont nullement spécifiques aux navires humanitaires; elles sont applicables à tout type de navire civil. Du reste, la Suisse, avec sa longue tradition de navigation, connaît et respecte ces obligations de longue date. Ces obligations de sauvetage restent distinctes du droit de l’accès au territoire, du droit de l’asile et du droit du débarquement. En clair, la Suisse n’a nulle obligation internationale d’accepter les naufragés sur son territoire. Si elle le faisait, cela ne relèverait que d’une décision souveraine de sa part.
Les règles relatives au débarquement sont inscrites dans les amendements de 2004 à la Convention SAR (Search and Rescue) de l’Organisation maritime internationale: l’Etat responsable de la zone SAR où le sauvetage a eu lieu doit trouver un lieu sûr de débarquement. Les autres Etats parties doivent coopérer avec lui pour que les navires qui prêtent assistance soient dégagés de leurs obligations dans les meilleurs délais. La Suisse, n’étant pas un Etat côtier, n’est pas responsable d’une zone SAR. Du reste, elle n’a pas ratifié la Convention SAR et n’est donc pas liée par ces obligations conventionnelles. L’obligation générale de coopération implique, pour un Etat de pavillon, simplement de discuter avec les autres Etats concernés pour que le navire soit déchargé des naufragés et pour que ceux-ci puissent être débarqués dans un lieu sûr.
L’Aquarius est à la recherche d’un soutien qui lui permette de poursuivre sa mission humanitaire, du moins aussi longtemps que les Etats méditerranéens n’assument pas leurs obligations en matière de sauvetage. Pour l’Aquarius, il est essentiel d’éviter la paralysie causée par le retrait intempestif des pavillons précédents. Il est également important que, face à une politique de criminalisation accrue des sauvetages en mer, l’Aquarius puisse compter sur la protection diplomatique d’un Etat pour qui les considérations élémentaires d’humanité sont plus que de belles et vaines paroles portées en étendard.
L’octroi du pavillon humanitaire à l’Aquarius marquerait le rejet par la Suisse d’une politique d’indifférence face à la mort en mer. Siège européen des Nations unies, berceau du droit humanitaire, la Suisse réaffirmerait ainsi son engagement en faveur des droits humains et plus généralement du droit international.
▅ «Si Tetris est ce jeu qui consiste à imbriquer des formes prédéfinies les unes dans les autres, transposer cette logique à des citoyens formés dans des moules dictant des modes stéréotypés de vie et de pensée pour structurer la société pourrait en révolter plus d’un. Un Tetris humain mettrait ainsi fin au jeu de la citoyenneté par exclusion des formes de libertés propres à la démocratie», écrit sur son blog Hélène Agbémégnah de Travail.Suisse. A lire sur le site du «Temps» à l’adresse https:// blogs.letemps.ch
En clair, la Suisse n’a nulle obligation internationale d’accepter les naufragés sur son territoire