Colère autour du retour de Google en Chine
Le moteur de recherche est prêt à se plier à la censure chinoise via son projet Dragonfly. De quoi susciter l’ire d’Amnesty International. Mais aussi des questions de la part de plusieurs centaines de ses employés et de son président exécutif
tDes employés courroucés, des ONG qui multiplient les dénonciations et même un président exécutif qui affiche ses doutes. Les ambitions de Google de retourner sur le marché chinois suscitent des critiques tous azimuts. Son directeur Sundar Pichai est la cible d’attaques de plus en plus vives pour son projet de moteur de recherche censuré, baptisé Dragonfly, qu’il veut lancer dans l’Empire du Milieu.
Mardi, c’est Amnesty International qui a mené une charge contre la société américaine. L’ONG, qui affirme que «la politique de censure et de surveillance en ligne menée par le gouvernement chinois est l’une des plus répressives au monde», rappelle qu’en 2010, Google «était publiquement sorti du marché des moteurs de recherche en Chine en dénonçant les restrictions de la liberté d’expression sur internet».
Liste noire
Concrètement, Dragonfly crée un filtrage en intégrant une liste noire de mots-clés, tels que «manifestation étudiante» et «Prix Nobel», fournis par le régime. Amnesty craint aussi que des groupes de mots qui sous-entendraient une critique du président Xi Jinping soient bannis. Google devrait aussi obéir aux ordres du gouvernement en censurant des thèmes actuels, comme le mouvement #MeToo ou l’internement des minorités ethniques.
La société américaine risque de devoir aller plus loin encore en permettant aux autorités de surveiller plus facilement les recherches de chaque utilisateur, affirme Amnesty, «ce qui implique un réel risque pour Google d’aider le gouvernement chinois à arrêter ou incarcérer des individus». L’ONG craint un précédent, non seulement sur le marché chinois, mais aussi au niveau mondial. Amnesty, qui a lancé une pétition en ligne, s’adresse aussi à des employés de Google via LinkedIn.
Le projet Dragonfly avait émergé cet été, mais ce n’est que mi-octobre que Sundar Pichai a reconnu publiquement son intérêt à revenir en Chine. Avec Dragonfly, «nous pourrions répondre à plus de 99% des recherches», avait-il dit. «Il y a de très nombreux cas où nous fournirions une information de meilleure qualité que ce qui est actuellement disponible», avait-il ajouté. Le directeur de Google n’avait alors pas caché son objectif commercial, car ce projet «est important pour nous si l’on prend en considération la taille très imposante du marché et le nombre d’utilisateurs. Nous nous sentons forcés d’y réfléchir sérieusement.»
Selon la société de recherche StatCounter, Baidu est le moteur de recherche le plus utilisé dans le pays (65%) devant ses concurrents locaux Shenma (18%), Sogou (7%) ou encore Haosou (5%).
En août, le New York Times révélait que 1400 employés de l’entreprise avaient signé une lettre de protestation contre le développement de Dragonfly. Les signataires demandaient davantage de transparence. «Nous n’avons pas assez d’information pour prendre des décisions éclairées sur le plan éthique concernant notre travail, nos projets et notre emploi», selon un extrait de la lettre cité par le journal américain.
Même John Hennessy, président exécutif d’Alphabet, la maison mère de Google, affiche ses doutes. Il y a une semaine, l’homme, discret dans les médias, affirmait à Bloomberg que «quiconque fait des affaires en Chine compromet certaines de ses valeurs fondamentales. Absolument chaque entreprise, car les lois en Chine sont différentes de celles de notre pays.» Google doit-il retourner dans ce pays? «Je ne connais pas la réponse à cette question. Je pense qu’elle est légitime», estimait John Hennessy. Facebook banni
D’autres géants américains de la tech sont absents de ce marché: Facebook et Twitter. «Pour aller en Chine, il nous faudrait pouvoir garder nos valeurs et ce n’est pas possible à l’heure actuelle», avait affirmait la numéro deux de Facebook, Sheryl Sandberg, en septembre devant une commission du Sénat américain. Jack Dorsey, directeur de Twitter, a expliqué que depuis son blocage en 2009, il n’a pas voulu modifier son réseau social pour se conformer aux exigences des autorités.
Apple est présent en Chine. Pour y vendre ses iPhone, mais aussi pour son service de stockage en ligne iCloud. Cet été, la société a accepté que China Telecom, opérateur appartenant à l’Etat, gère les données iCloud de ses clients locaux. Critiqué par des ONG, Apple avait répondu qu’elle devait se conformer aux lois locales.
▅
«Dragonfly est important pour Google au vu de la taille du marché chinois»
SUNDAR PICHAI,
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GOOGLE